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avec cette somme! 150 millions de francs soulageraient un peu les finances de l’Espagne, et suffiraient amplement à liquider les dettes du Mexique. Toutefois nous ne croyons pas que cette ardeur de conquêtes et d’acquisitions (d’acquisitions encore plus que de conquêtes) se tourne eu ce moment contre l’Espagne. La question de Cuba soulève encore de trop grandes difficultés. L’Angleterre tout récemment s’est prononcée trop formellement contre la note de M. Everett, par l’organe de lord John Russell; la France non plus ne laisserait probablement pas attaquer une nation amie et sœur sans lui porter quelque secours. L’Espagne elle-même est encore parfaitement capable d’opposer une résistance énergique. Mais le Mexique ! personne ne s’intéresse à lui; il est incapable de se défendre; il est manifestement, et de son propre aveu, en pleine dissolution; il est évidemment dans la situation d’un débiteur rongé de dettes, à qui l’expropriation serait plus utile que nuisible. Rien n’empêche donc les États-Unis d’exproprier le Mexique de quelques-unes de ses provinces. C’est l’avis de M. Marcy, et très probablement cet avis sera écouté. Il faut s’attendre à voir d’ici à peu de temps le Mexique payer pour la troisième fois les frais de l’humeur belliqueuse des Yankees. Dans quelques mois probablement, ce malheureux pays aura encore perdu quelques-unes de ses provinces, peut-être même ne restera-t-il plus du Mexique que le nom!

Tandis que l’ardeur politique des citoyens de l’Union va ainsi de l’avant et réalise à la lettre sa fameuse devise populaire go a head, une ardeur d’un genre bien différent, plus noble certainement, et qui peut-être aura sur l’avenir des conséquences meilleures que cette soif de conquête et de luxe qui les dévore, l’ardeur littéraire, qui commence à peine, enfante, sinon des prodiges, au moins des œuvres recommandables. Nous n’avons, il est vrai, aucun produit littéraire américain à comparer avec cet hôtel merveilleux qui vient de s’ouvrir à new -York, et dont les journaux nous racontaient récemment les splendeurs : — nulle tragédie, nul roman, nul livre d’histoire ou de voyage qui puisse rivaliser avec les fontaines, les lustres, les cheminées, les dorures, les escaliers de ce caravansérail magique, de cet Alhambra, bâti non pour des sultans, mais pour des bourgeois et pour quiconque porte dans sa poche un nombre suffisant de dollars. La littérature américaine n’a pas cette année à nous offrir non plus un succès comme celui de l’Uncle Tom’s Cabin : pareille bonne fortune n’arrive pas tous les ans même aux peuples au berceau et favorisés du sort; mais ni la hardiesse, ni la bonne volonté ne manquent aux écrivains américains. Ils tentent plus d’une voie et s’essaient dans plus d’un genre.

Qui croirait par exemple que la littérature du dilettantisme a ses disciples dans le Nouveau-Monde, et qu’il s’y trouve des auteurs capables d’écrire un voyage en Orient tout aussi bien que M. Théophile Gautier, ou de broder un feuilleton avec tout l’art de M. Jules Janin ? Les modernes touristes de notre école orientale n’ont pas de couleurs plus vives, de phrases plus musicales, ni plus d’habileté pittoresque que M. Curtis, l’auteur de deux récits de voyage intitulés Nile Notes et le Voyageur en Syrie. Les canges du Nil, les hôtelleries du Caire, les bazars, n’ont pas de secrets pour M. Curtis, les drogmans égyptiens ne sont point capables de lui en imposer. Seulement M. Curtis diffère de nos voyageurs par la tournure d’esprit et le caractère; il est peu