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Ce n’est pas aux bulletins de la Russie qu’il faut demander des renseignemens complets; quant aux intrépides chefs du Daghestan, s’ils ont essayé de faire quelques emprunts à la civilisation, ils n’ont pas encore de documens officiels, et de rares proclamations revêtues du sceau de Shamyl sont les seuls renseignemens directs qui nous viennent du Caucase. On ne peut donc que s’adresser aux voyageurs et confronter les témoignages.

On a lu ici même de remarquables récits qui ont fait exactement connaître des détails fort curieux de cette pathétique histoire. L’Allemagne surtout est notre intermédiaire auprès de l’Europe orientale; les plus complets tableaux que nous ayons sur la situation générale du Caucase, sur l’armée russe et les cavaliers de Shamyl, sur les Cosaques de la plaine et les Tcherkesses de la montagne, ce sont deux écrivains allemands qui viennent de les tracer. Le premier, M. Maurice Wagner, est un naturaliste aventureux. Esprit grave, observateur spirituel, il sait voir avec impartialité les pays où le pousse son ardeur scientifique. Il a recherché de préférence les pays de montagnes, et ceux-là particulièrement où un dramatique intérêt rehausse l’intérêt de la science; avant de voir le Caucase, il avait accompagné nos officiers dans leurs visites aux Kabyles. Que de réflexions ingénieuses se présenteront naturellement à un observateur préparé de la sorte ! Que de piquantes analogies il aura à signaler ! que de contrastes aussi entre ces gorges de l’Atlas qu’ont parcourues au pas de charge nos intrépides colonnes et ces montagnes où vient se heurter pesamment la valeur taciturne du soldat russe ! L’autre voyageur à qui nous demanderons nos renseignemens est M. Frédéric Bodenstedt. M. Bodenstedt est un cœur généreux et une imagination brillante; ce qu’il cherchait d’abord dans le Caucase, c’étaient les problèmes ethnographiques et les séductions de la poésie : or peu à peu il s’est donné tout entier à cette partie de ses prédilections. Il était parti en touriste; il lui a semblé bientôt qu’il revenait à son foyer natal. M. Bodenstedt est véritablement le poète du Caucase; dans tout ce qu’il écrit, prose ou vers, nouvelles ou récits de voyage, études d’histoire ou strophes enthousiastes, on voit toujours briller, comme des diamans, les cimes neigeuses qu’ont chantées Pouchkine et Lermontoff; il connaît les Cosaques de l’Ukraine, il a vu les Lesghes de Shamyl; il a demeuré longtemps dans la capitale de la Géorgie, et ses meilleurs camarades littéraires, ce ne sont pas des écrivains de l’Allemagne, ce ne sont pas les collaborateurs de la Gazette d’Augsbourg, à qui il a fourni souvent de si curieux travaux : ce sont les chanteurs circassiens et les théologiens de Tiflis, c’est l’aimable poète Mirza-Schaffy et le savant Abbas-Kouli-Khan. Voilà, ce me semble, des compagnons de voyage comme on n’en trouve pas tous les jours.