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merveilleux instrument pour combattre d’autres barbares. La guerre du Caucase serait-elle possible sans eux ? Et cependant on n’a pas à craindre que l’exaltation guerrière ne produise chez eux un esprit d’indépendance et de révolte : l’individu est fier, la masse est docile et maniable. Ces Cosaques si hautains, on les sépare de leurs frères, on les transporte loin de leur pays natal, et ils ne soupçonnent même pas qu’ils pourraient être une nation redoutée. La civilisation est là qui les prend dans ses pièges.

Parmi les barbares auxquels la Russie oppose la cavalerie cosaque, les Tcherkesses occupent le premier rang. Toutefois on est trop porté à croire que les Tcherkesses sont les seuls gardiens de ces forteresses imprenables où vient se briser l’élan du Tchernomorze. Les Tcherkesses sont réduits aujourd’hui à une sorte d’inaction; le jour où ils seraient complètement soumis, et ce jour est encore bien éloigné, on trouverait derrière eux les plus féroces hordes du Caucase. Suivez M. Wagner de Jekaderinodar jusqu’au Dariel, vous traversez le pays des Cosaques : au-dessus d’eux, sur la droite, au pied et sur les flancs de la montagne, voici les Tcherkesses et les nombreuses tribus qui sont comme les branches de ce tronc puissant; mais portez vos yeux plus haut, pénétrez plus loin par la pensée, voyez ces sommets désolés et ces gorges profondes, c’est là que vivent des peuples dont l’origine se rattache aux plus antiques migrations de la race humaine.

D’abord ce sont les Ubiches, dont le pays est aussi inconnu que le centre du continent africain. La grande carte du Caucase, dressée par l’état-major de l’armée russe, ne nous présente ici qu’un immense espace vide. Deux Européens seulement ont pu donner quelques renseignemens sur les Ubiches, le voyageur anglais Stanislas Bell et un officier russe, M. le baron de Turnau. Il y a quelques années, M. Bell, sur un navire qui lui appartenait, avait abordé aux côtes de la Mer-Noire, dans la direction du pays des Ubiches; il osa pénétrer chez eux, en ayant soin pourtant de ne jamais s’éloigner des côtes. Les Tcherkesses, avec leur imagination avide, avaient considéré M. Bell comme un diplomate anglais, et le bruit s’était répandu que l’arrivée de son navire présageait l’envoi d’une flotte qui aiderait les Circassiens à briser pour toujours la domination moscovite. Ce bruit, porté aussi chez les Ubiches, avait protégé M. Bell; on le reçut d’abord avec de grandes marques d’honneur. Il ne tarda pas cependant à s’apercevoir que les Ubiches étaient moins confians que les Tcherkesses : l’ambassadeur était prisonnier chez ses amis. Il essaya maintes fois de s’enfuir avec des Turcs venus pour acheter des esclaves, et n’y réussit enfin qu’à grand’peine. On comprend que M. Bell ait retiré peu de fruit d’une telle expédition. M. le baron de Turnau fut moins heureux encore. Le tsar, depuis quelques années, a essayé d’organiser des