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Nicolas; il exposa son système et demanda surtout qu’il fût pratiqué avec persévérance. Vouloir soumettre le Caucase par une seule et décisive expédition, c’était, disait-il, une chimérique entreprise à laquelle toutes les forces de la Russie ne suffiraient pas; on ne devait songer qu’à épuiser l’ennemi, et ce dessein exigeait, comme dit la fable, patience et longueur de temps. Le plan du prince Woronzoff, approuvé par le tsar, fut aussitôt et résolument suivi. Les colonnes mobiles qui avaient obtenu de si glorieux résultats en Algérie sous le maréchal Bugeaud commencèrent à sillonner le Caucase. Si le soldat russe, ferme à son poste, mais dépourvu d’élan, eût pu comprendre cette guerre comme notre brillante armée d’Afrique, le succès de ces colonnes eût été certainement plus rapide; il a été toutefois assez grand pour provoquer de la part de Shamyl une résistance désespérée. Ainsi en 1846, pendant que les colonnes préparaient de nouvelles expéditions, le prophète, appelant aux armes non-seulement ses troupes régulières, mais tous les cavaliers des aouls, abandonna le théâtre de la guerre, traversa deux lignes de forts, sans compter deux grands fleuves, qui rendaient son retour plus difficile, et envahit la Kabarda. Les Kabardiens sont des Tcherkesses et appartiennent par conséquent à la partie occidentale du Caucase; ce sont les Circassiens de la plaine, comme les Adighés sont les Circassiens de la montagne. Exposés de toutes parts aux armes russes, ils sont soumis depuis longtemps, et il est évident que Shamyl, en commençant par eux, voulait porter la terreur chez les tribus indécises. Jamais chef du Daghestan n’avait montré une plus téméraire audace. Shamyl avait, assure-t-on, vingt mille cavaliers sous ses ordres; c’était beaucoup sans doute, et il s’en faut bien qu’avant 1846 il ait pu mettre sur pied une troupe aussi nombreuse; sa cavalerie cependant pouvait être cernée en rase campagne par l’armée russe et anéantie d’un seul coup. Sa témérité lui réussit; il pilla les Kabardiens, brûla les moissons, enleva des centaines de captifs, et, ramenant sa troupe grossie d’une multitude de recrues qu’effrayaient ses violences, il traversa comme un coup de foudre les lignes russes épouvantées.

Shamyl, en quittant la Kabarda, avait annoncé qu’il reviendrait bientôt; mais on ne frappe pas deux fois de pareils coups. Depuis six ans, l’infatigable persévérance du prince Woronzoff enferme les Tchétchens dans un cercle de fer. Shamyl pourrait-il aujourd’hui, comme en 1846, rassembler vingt mille cavaliers ? La chose est peu probable. Le prophète est toujours le chef vénéré dont la parole crée des héros, il a toujours, malgré l’âge qui s’avance, la jeunesse de l’enthousiasme et la virilité des résolutions; mais le théâtre de son activité s’est singulièrement rétréci. Que ce théâtre doive se rétrécir de jour en jour, comme le proclament les Russes, il est