Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE


MARÉCHAL BUGEAUD


ET LA


COLONISATION DE L’ALGERIE


SOUVENIRS ET RECITS DE LA VIE COLONIALE EN AFRIQUE.





Il y a plus d’un an déjà que l’Algérie reconnaissante élevait une statue à l’homme dont les travaux ont rempli le double champ de la vieille devise ense et aratro, et qui avait adopté cette devise comme cadre ou comme résumé de ses travaux. Le maréchal Bugeaud s’est partagé également entre cette double tâche de la conquête par l’épée et par la charrue; mais l’histoire ou du moins la chronique lui a, ce semble, été inégale. Le pinceau et la plume ont rivalisé d’ardeur à suivre la marche de nos colonnes et le sillon de l’épée, lit funèbre de tant de morts glorieux. Dans cette Revue même, que de pages animées ont redit les épisodes brillans, les faits héroïques, les courses sans fin devant lesquelles semblaient reculer sans cesse des horizons sans bornes, et les bivouacs du soir sous le dais mouvant dont les couronnait la fumée tiède encore du combat! Mais la conquête, dans le sens où l’avait comprise le maréchal Bugeaud, s’était fait aussi une autre armée, armée qui a ouvert aussi son sillon et qui l’a aussi comblé de ses morts, qui a également ses fatigues, ses privations et ses rudes labeurs, ses jours néfastes et ses triomphes, ses grandes luttes et ses héros, ses drames lugubres et sa gloire. Comme le soldat, le colon de l’Algérie a combattu un bon combat. Seulement le soldat a cet avantage, qu’il s’appelle légion et qu’il a pour ennemis des hommes : il combat sous les yeux de tous, excité par les regards de tous, contre un ennemi qu’il sait où frapper; l’honneur qu’il s’acquiert devient le patrimoine d’une grande famille intéressée à n’en rien laisser perdre, et les ennemis eux-mêmes raconteront sa gloire. Le colon est seul, aux prises non avec des hommes semblables à lui, mais avec toutes les forces de la nature, d’une nature sauvage.