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à les comprendre. Ce régime de communauté et la force d’unité qui résultait du maintien de l’organisation militaire étaient à ses yeux ce qui faisait le mérite du système au point de vue de l’intérêt des colons. Conçu dans le for de la bienveillance profonde et vraiment paternelle qu’il portait à ses soldats, ce système ne lui paraissait pouvoir être que souverainement bienfaisant. Les plaintes cependant s’accumulèrent tellement, le dégoût et le découragement les suivirent de si près, que le maréchal crut devoir intervenir lui-même. Il passa à Beni-Mered, rassembla les colons et leur dit :

— Eh bien ! vous voulez donc la dissolution de la communauté ?

— Oui, monsieur le maréchal.

— Et pourquoi la voulez-vous ?

Il se mit alors à écouter leurs griefs, leur prêtant l’oreille avec ce calme patient et ce regard à la fois attentif et préoccupé de sa propre pensée qui produisait des jeux de physionomie curieux à observer dans une nature si impérieuse et si impétueuse. Après avoir tout entendu et tout réfuté en passant, il s’anima en reprenant une fois de plus la thèse des avantages inhérens au régime provisoire de la communauté : l’économie qui en résultait pour eux, le petit capital que cela leur amassait insensiblement pour le jour de la liquidation, et qu’ils dissiperaient sans même s’en apercevoir, s’ils le percevaient goutte à goutte; le besoin qu’ils avaient de s’unir en faisceau pour vaincre les premières difficultés de leur installation sur une terre nue; le peu de titres qu’ils auraient à l’appui d’un gouvernement dont ils auraient secoué la tutelle et méconnu les avis. Puis, après tous ces développemens, il revint à sa question :

— Vous m’avez bien entendu ? Vous avez réfléchi ?

— Oui, monsieur le maréchal.

— Voulez-vous toujours la liquidation de la communauté ?

— Oui, monsieur le maréchal.

— Allez ! vous êtes des ingrats ! pour vous punir, je vous la donne.

La communauté n’avait cependant guère plus que six mois de durée normale, et elle avait encore beaucoup de choses à faire, car elle n’avait même pas achevé de bâtir toutes les maisons; mais l’impatience était à son comble. Quelques jours plus tard, en effet, la dissolution fut effectuée par l’intendance en présence du conseil d’administration de la compagnie. Chaque soldat reçut quatre hectares défrichés, une maison ou 800 francs de matériaux, deux tètes de gros bétail et dix de bêtes à laine. La communauté avait reçu pour 7,000 francs de bestiaux; au moment du partage, elle en possédait pour 17,976 francs, et l’on en avait déjà antérieurement vendu pour une dizaine de nulle francs qui avaient été le premier noyau du fonds commun. On vendit pour le partage, et à l’enchère, les instrumens aratoires, dont le produit fut également versé à la masse commune. Le décompte fait, chaque soldat eut à percevoir pour sa part 436 francs 55 centimes. L’intendance avait prélevé 2,350 francs pour le remboursement des effets de couchage, 845 francs pour les instrumens aratoires, et repris en nature les bestiaux qu’elle avait fournis. L’état semblait donc ne rester grevé d’aucune dépense extraordinaire, et là était le côté spécieux de cette combinaison économique; mais en réalité l’état avait eu à sa charge, sous le titre de soldats, pendant deux ans