Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de terre. On lui adjoignit un religieux. Je les suivis jusqu’au cimetière. Le religieux seul en effet put travailler. Le grand Allemand s’exténuait et n’avançait point sa besogne. Un autre frère fut envoyé. Quand tout fut prêt, on récita les prières des morts sur le corps de l’enfant, et nous l’accompagnâmes jusqu’au pied de la croix qui, grâce aux trappistes, protège sa dernière demeure.

Je ne sortirai point du monastère de Staouéli sans dire un mot de cette fondation, l’une des plus intéressantes certainement qu’il y ait en Afrique, et celle où accourent tout d’abord les curieux d’Europe. Le monastère de la Trappe est assis dans la plaine de Staouéli, à environ 17 kilomètres d’Alger, et sur l’emplacement même du camp que Hussein-Dey avait formé en 1830 pour s’opposer à notre débarquement de Sidi-Ferruch. Les deux touffes de palmiers qui, dit-on, ombrageaient la tente du général en chef de l’armée du dey, ombragent aujourd’hui l’entrée du couvent. Un camp français y a été établi depuis sur la butte qu’occupe aujourd’hui le cimetière, butte dont le sol recouvre un grand amas de ruines, et sur le flanc de laquelle des travaux postérieurs ont fait découvrir les vestiges d’une ancienne église chrétienne.

La fondation de Staouéli fut provoquée en 1842 par le gouvernement, qui voulait inaugurer la colonisation sous les auspices d’un ordre religieux et agriculteur. Les négociations avec les chefs de l’ordre durèrent près d’un an. Enfin, le 20 août 1843, jour de Saint-Bernard, cette lumière et ce grand réformateur de l’ordre de Saint-Benoît, le révérend père Régis, aujourd’hui abbé mitré, alors seulement prieur de la communauté qu’il allait fonder, arrivait au pied des palmiers, après avoir bivouaqué dans la broussaille, où il s’était égaré la veille en les cherchant. Il débuta par y dire la messe en compagnie du père Brumauld, qui, plus ancien que lui en Afrique, avait voulu lui servir de guide. Toute l’installation consistait en un blockhaus resté là depuis le temps où le camp avait été évacué. On construisit une grande baraque pour recevoir provisoirement les premiers religieux qui allaient former le noyau de la communauté. Le génie militaire dressa, concurremment avec le père prieur, le plan de l’édifice permanent; le colonel Marengo amena ses condamnés militaires pour les travaux, et les constructions commencèrent.

La première pierre du couvent fut posée solennellement par le maréchal sur un lit de boulets ramassés dans la plaine de Staouéli. C’est aussi un obus qui est au couronnement de l’édifice, au haut du clocher, où il sert d’appui au pied de la croix qui surmonte le tout. Toutes les autorités d’Alger et l’élite de la société assistèrent à cette cérémonie. Bientôt les épreuves vinrent. Vingt-deux religieux, pères de chœur ou frères convers, avaient été appelés d’Aiguebelle, la maison mère. Ils logeaient dans la baraque, qui était en même temps leur réfectoire, leur dortoir, leur cloître et leur salle de chapitre. Le blockhaus avait été converti en chapelle ou plutôt en autel, car le chœur et la nef étaient la voûte des cieux. Les premiers défrichemens produisirent leur effet ordinaire. Deux religieux tombèrent malades, l’un mourut. Peu après, dix-sept furent atteints, puis tous, et avant l’expiration de la première année, dix étaient morts, dont sept en trois mois. Ce n’était pas tout. Les constructions avançaient, mais l’argent s’épuisait. Comme les murs extérieurs touchaient à leur couronnement, une violente pluie d’orage, comme on n’en voit pas en