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de place, déplaçait un peu quelques-uns de ces effets, et nous avions de la peine à reconnaître nos points de repère. Cependant plus nous avancions, plus la gorge de l’Oued-el-Kebir devenait distincte, même pour des yeux encore peu familiarisés avec le pays. A part les accidens de terrains qui nous forcèrent plus d’une fois à courir des bordées à droite, à gauche ou même en arrière, nous commençâmes donc à être sûrs de notre route, et en effet vers trois heures nous arrivâmes à Joinville. Nous avions mis une dizaine d’heures à franchir un intervalle de cinq ou six lieues.


IV.

Les villages des environs de Blida se rattachent à un système stratégique qu’on voulait établir sur la ligne du pied de l’Atlas et au débouché des principales gorges, comme on en avait établi un sur les crêtes du Sahel. De cette manière, la colonisation tenait en première ligne les clés de la Metidja, et en seconde ligne celles de la plaine de Staouéli. Les garnisons de Blida, de Boufarik, de Douéra, de Bir-Khadem, de Koléah et de la Maison-Carrée formaient au centre et sur les ailes les points d’appui de ces deux lignes. Stratégiquement cette idée était un peu préférable à celle de l’obstacle continu. Les villages du Sahel auraient pu être mieux placés sous le rapport agricole, mais au pied de l’Atlas l’intérêt des cultures s’accordait merveilleusement avec la donnée stratégique. Terres excellentes et d’alluvion, situation un peu plus élevée et par conséquent plus salubre que celle du fond de la plaine, eaux courantes et abondantes prises au sortir des gorges qui les produisent, rien ne manquait. Il est donc à regretter que ce système, inutile désormais pour la défense, ne soit pas encore complété, du moins pour la prospérité de la colonisation. Les colonies agricoles envoyées de Paris eu 1848 ont fait combler quelques lacunes au fond ouest de la Metidja, mais il en reste de très regrettables dans les positions les plus centrales.

Ces villages du pied de l’Atlas ne remontent pas au-delà de 1843. Malgré ce qui vient d’être dit des avantages de leur situation, et malgré cette circonstance, presque aussi heureuse, — que les défrichemens dans la plaine n’ont pas à lutter contre le palmier nain, — il ne faut pas croire que ces villages n’aient pas eu aussi des premières années fort dures. Leurs trois premières récoltes ont été détruites comme dans le Sahel, l’une par le sirocco (vent du désert), l’autre par les sauterelles, la troisième par la sécheresse de l’hiver. L’administration vint à leur secours en leur fournissant des bœufs et des semences, en leur achetant leurs fourrages; mais c’est là plus qu’une administration ne peut faire, et ces secours même donnaient lieu à de nouvelles plaintes. Quant aux achats de fourrage, c’était presque un sujet de guerre civile. Le colon, habitué à se sentir en tutelle, regardait à peu près comme un droit pour lui d’imposer ses foins à l’administration militaire, et celle-ci, tout en se proposant de venir au secours des colons, avait aussi à régler ses achats sur ses besoins; elle fixait la quantité de quintaux métriques qu’elle aurait à prendre et le prix qu’elle y mettrait. L’administration civile avait donc ensuite à établir, par l’entremise des maires, la quantité proportionnelle que chaque colon individuellement pourrait livrer. On voit quel nid