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servir à quelque chose : il lui vient à l’idée de savoir d’où provient la mousse du vin de Champagne qu’il boit, et il fait consulter l’académie. Celle-ci demande soixante bouteilles pour faire consciencieusement les expériences : « Ah ! qu’ils aillent au diable, dit le roi, j’aime mieux n’en rien savoir; pour boire mon Champagne, je me passerai bien d’eux. » Voilà la seule velléité scientifique qu’on ait jamais remarquée en lui.

Frédéric II, qui arrivait au trône avec des dispositions toutes contraires, se hâta de compléter l’œuvre inachevée de Leibnitz en fondant une académie nouvelle où entrèrent les membres de l’ancienne société. Cette compagnie savante avait dès l’origine été conçue sur le plan encyclopédique que la convention réalisa chez nous dans l’organisation de l’Institut. Génie universel, Leibnitz y avait réuni toutes les branches des connaissances humaines, une seule exceptée, la philosophie. Frédéric en fit une classe, dont les attributions répondaient à celles de notre Académie des sciences morales et politiques. Le roi de Prusse n’avait pas peur des idéologues, et il ne semble pas qu’il s’en soit mal trouvé. On peut voir dans l’ouvrage de M. Bartholmèss quelle liberté d’opinions il laissa aux académiciens : despote partout ailleurs, dans le domaine de la pensée il admettait la liberté la plus complète. On le voit souffrir de l’académie non-seulement des contradictions et un esprit différent du sien sur des matières spéculatives, mais même des remontrances politiques. Au milieu de la guerre qui faillit emporter la monarchie prussienne en 1760, l’Académie lui transmet un projet de pacification envoyé par La Condamine; on y proposait au roi des conditions inacceptables. Il le repoussa avec fermeté, mais sans s’irriter aucunement de cette démarche. C’est ainsi qu’il tolérait de la part de l’Académie, comme le remarque très bien M. Bartholmèss, ce qu’il ne supportait pas dans sa propre famille. En effet, à la même époque, son frère bien-aimé, Guillaume-Auguste, se jetait un jour à ses pieds, le conjurant avec larmes de céder à la fortune. « Monsieur, lui répond durement Frédéric, vous partirez demain pour Berlin. Allez faire des enfans, vous n’êtes bon qu’à cela. » Son frère en mourut de chagrin.

Il faut le dire, l’Académie n’abusa guère en général de la liberté que lui laissait le roi, et dans une circonstance curieuse montra une prudence peu philosophique. D’après le conseil de d’Alembert, Frédéric avait fait proposer pour sujet de concours cette étrange question : Est-il permis de tromper le peuple ? Frédéric et d’Alembert n’envisageaient cette question qu’au point de vue religieux : l’Académie modifia le programme, et fit porter la question sur tous les genres de croyances, morales, politiques et autres; mais son audace n’alla pas plus loin. Quand vint le moment de décider du mérite des concurrens, elle couronna deux mémoires, l’un qui prétendait prouver