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Beaumarchais, rechercher avec une sorte de parti-pris, multiplier sans nécessité, caresser avec complaisance tous les mots, toutes les idées, toutes les situations qui ont un sens plus ou moins licencieux et brutal. Presque tous les personnages de Beaumarchais, Almaviva, Figaro, Chérubin, Basile, Marceline, la comtesse elle-même, quoique avec un peu plus de réserve, semblent dominés, on pourrait dire presque absorbés, par le même genre de préoccupations. Cette création de Chérubin, par exemple, qui a trouvé grâce devant des critiques d’ailleurs sévères pour Beaumarchais, est-elle bien vraie ? Si Beaumarchais a pu chercher dans les souvenirs de son enfance à lui, très précoce et, on s’en souvient, très effrontée même pour le XVIIIe siècle, les principaux traits de cette figure, est-ce bien là une personnification exacte de la puberté en général chez les jeunes gens, non-seulement de treize ans, mais même de quinze et de seize ? Ces ardeurs fougueuses, occasionnées par l’éveil des sens, ne sont-elles pas sans cesse combattues par je ne sais quelle retenue mystérieuse et naïve, non pas factice et grimacière comme celle de Chérubin, qui ose très bien dire à Suzanne en style de jeune roué : « Tu sais bien, méchante, que je n’ose pas oser, » mais sincèrement craintive, inquiète et même un peu farouche ? Ceux-là même qui seront des don Juan ne commencent-ils pas presque tous par être plus ou moins des Hippolyte ? Cette nuance, qui donnerait plus de grâce en même temps que plus de vérité générale au rôle de Chérubin, me semble à peu près absente, et cependant les païens eux-mêmes l’admettaient. Daphnis, dans le petit roman de Longus, s’il n’a pas la décence extérieure de Chérubin, présente certainement une physionomie plus craintive et plus innocente. Le petit Jehan de Saintré, ce Chérubin du moyen âge, offre toutes les nuances qui manquent à celui de Beaumarchais, et même au XVIIIe siècle on comprenait assez bien tout ce qui se mêle de poésie et de tendresse de cœur aux premières ardeurs de l’adolescence, pour accueillir avec transport un autre Chérubin, qui apparut, je crois, la même année que celui de Beaumarchais, et qui en est comme la contre-partie. Quand on s’était amusé à voir le page du comte Almaviva lutiner Suzanne, mettre en péril l’innocence de Fanchette et soupirer pour la comtesse, on lisait avec délices ce dialogue charmant entre Paul et Virginie qui commence ainsi : « Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse ; quand du haut de la montagne je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais au milieu de nos vergers comme un bouton de rose. Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver ; quelque chose de toi que je ne puis dire reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds… »

Quoique la pudeur ne fût pas le caractère distinctif de Beaumar-