Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/565

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

où elles paraissent avoir eu le moins de succès. Un poète dramatique espagnol assez distingué, Garcia de La Huerta, à la vérité très hostile au théâtre français en général, parlant en 1785 d’une traduction espagnole du Barbier de Séville, s’exprime ainsi :


« Don Manuel Fermin de Laviazo a fait une traduction du Barbier de Séville, et quoiqu’il ait purgé cette comédie de ses impropriétés les plus grossières, quoiqu’il lui ait donné plus de mouvement en la réduisant en trois actes et qu’il en ait amélioré le style en convertissant en vers la prose soporifique (soporifera) de Beaumarchais, la pièce n’en est pas moins restée une comédie burlesque pleine de cette platitude française (platitud francesa) qui est intolérable pour les personnes de bon goût. »


Ce critique espagnol, on le voit, n’y va pas de main morte ; il peut marcher de pair avec Geoffroy, il peut même se flatter d’être le premier qui ait découvert que la prose du Barbier de Séville était soporifique. Personne, à coup sûr, ne s’était encore avisé de lui reprocher ce défaut-là. Ce même La Huerta, après avoir déclaré que les comédies de Beaumarchais ne peuvent être envisagées qu’avec le plus profond mépris, accuse la critique française de n’avoir pas assez insisté sur les fautes les plus essentielles, parce qu’elle ne connaissait pas assez, dit-il, l’invraisemblance qui y règne. Et comme il veut bien nous signaler lui-même ces fautes énormes, je pense qu’on ne sera peut-être pas fâché de savoir en France ce qui choque épouvantablement un Espagnol, un peu entaché de pédantisme, dans les comédies de Beaumarchais, et d’abord dans le Barbier de Séville.


« Cette pièce, dit La Huerta, ne mérite pas qu’on se donne la peine d’en faire un examen complet et rigoureux. Il suffira, pour convaincre les plus obstinés, de mettre en relief quelques-unes des fautes si nombreuses qu’elle renferme, fautes qui sont moins excusables chez M. de Beaumarchais que chez tout autre, non-seulement parce qu’il a résidé quelque temps en Espagne, et même assez longtemps pour pouvoir éviter les erreurs qu’il a commises, mais encore parce qu’il se vante très hautement de connaître nos mœurs. Quel homme ne rirait, par exemple, pour peu qu’il connaisse les mœurs de l’Espagne, de voir un barbier qui, ayant une boutique ouverte à Séville, se présente dans la rue à sept ou huit heures du matin, heure précise à laquelle il doit faire ses barbes, avec la tournure et le costume d’un majo,

    inquiété du drame allemand dans lequel Goethe le faisait figurer tout vivant. Ce n’est qu’en 1784, lorsque parut en France la première traduction de ce drame par Friedel, qu’avant d’en autoriser la publication, le censeur écrit à Beaumarchais pour lui demander s’il consent à ce que la traduction paraisse avec son nom. Beaumarchais, sans doute occupé d’autre chose, fait attendre longtemps la réponse, ce qui désole l’infortuné traducteur ; il répond enfin pour demander qu’on change le nom de Beaumarchais, adopté par Goethe, en celui de Ronac, et le nom de son beau-frère Guilbert en celui d’Ilberto. C’est en effet avec ce travestissement que parut en France la première traduction du drame allemand de Clavijo.