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avec une guitare en bandoulière, écrivant une séguedille, retouchant de temps en temps sa chanson avec un crayon et faisant de son genou un pupitre. Un tel être n’a jamais existé et n’existera jamais, et s’il était possible qu’un barbier tombât dans une semblable folie, il en serait bientôt puni, car il se verrait chassé de la rue par les cris des enfans du quartier, et peut-être à coups de pierres. C’est en vain qu’on dirait, pour sauver l’absurdité de cette situation, que la maison du barbier est à quatre pas, car s’il en est ainsi, il pourrait, de l’endroit où il est, la montrer au comte Almaviva, sans avoir besoin de lui donner des détails sur son enseigne. En outre, la plus grande inconvenance de la situation consiste dans l’inopportunité de l’heure adoptée par l’auteur, heure à laquelle même les aveugles qui gagnent leur vie en jouant de la vielle n’ont pas coutume de faire leur charivari. Et voilà pourquoi le barbier, même à sa porte, ne pourrait ni chanter ni jouer de la guitare, attendu que les gens du voisinage qu’il incommoderait l’obligeraient à se taire et à se retirer. »

« Ce n’est pas une moindre inconvenance de faire paraître en scène le comte Almaviva, titre qui n’existe pas en Espagne, et encore moins avec la qualité de grand que lui donne le poète prosaïque[1], de le faire paraître vêtu à l’espagnole, ainsi que Rosine, en même temps qu’on nous offre le ridicule barbier habillé en majo, synchronisme fort extraordinaire pour un Espagnol et pour tous ceux qui savent que le costume et même le nom de majo sont si modernes en Espagne, qu’on ne trouverait ce nom dans aucun ouvrage ayant cinquante ans d’antiquité. Voilà pourquoi l’Académie espagnole, en acceptant ce mot de majo dans le quatrième volume de son dictionnaire imprimé en 1737, l’a accueilli sans y joindre aucune autorité qui garantit son origine, apparemment parce qu’elle n’en a point trouvé, à cause de la modernité de ce mot, et c’est probablement par la même raison qu’elle a omis les mots de maja, majeza, et autres dérivés dont nous nous servons aujourd’hui, et qui n’étaient pas aussi usités en 1737 que maintenant. Il y a donc ignorance grossière chez ceux qui disent et pensent que l’habit de majo est le costume propre et caractéristique de notre nation, tandis qu’il est certain au contraire qu’il est le plus opposé à notre caractère grave et circonspect… Et dans tous les cas, ce costume n’étant point encore en usage à l’époque où l’on portait le costume à l’espagnole, c’est une inconvenance absurde de les unir et de les faire paraître en même temps dans une pièce.

« Les noms que Beaumarchais donne à quelques-uns des acteurs de ses comédies sont également très ridicules et très impropres. Le nom de Bartholo, dont il baptise un médecin, ne s’emploie en Espagne qu’entre gens de la plus basse classe ou dans le style le plus familier, parce qu’il est une espèce de diminutif de Bartholome, diminutif dont on ne se sert que pour exprimer le mépris ou la tendresse, d’où il résulte qu’il y a une ignorance très coupable (muy culpable) à supposer que le billet de logement dont il est question au second acte du Barbier a pu être adressé au docteur Bartholo

  1. Cette critique de La Huerta, qui consiste à reprocher à Beaumarchais d’avoir placé dans une comédie un grand d’Espagne sous un nom imaginaire, au lieu de lui donner un nom réel, semblera un peu extraordinaire en France. L’inconvenance pour nous consisterait bien plutôt à mettre en scène un nom réel.