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pieds, ou qu’ils tombent aux miens. L’autel de la justice est dans ce moment pour moi l’autel de la vengeance, et sur cet autel, désormais funeste, je jure que jamais il n’y aura de paix entre nous…, que je m’attacherai à eux comme le remords à la conscience coupable. Et vous, qui présidez ce tribunal auguste, vous, l’ami des mœurs et des lois, vous dans lequel nous admirons tous, etc., etc., recevez mes sermons ! » Les nombreux admirateurs de Bergasse trouvaient cela sublime.

Le parlement reçut les sermens de ce fougueux avocat pour ce qu’ils valaient, et quoiqu’il eût avec soin entremêlé sans cesse les flatteries envers ses juges aux invectives contre l’auteur du Mariage de Figaro, le parlement le déclara calomniateur, par un arrêt du 2 avril 1789 ; il le condamna envers Beaumarchais et chacun de ceux qu’il avait insultés à mille livres de dommages-intérêts avec défense de récidiver, sous peine de punition exemplaire. Kornman fut condamné aux mêmes peines, et de plus, vu les preuves de sa coupable tolérance, déclaré non recevable dans sa plainte en adultère contre sa femme et Daudet de Jossan.

Il fallut au parlement un certain courage pour rendre cet arrêt, car cette lutte si prolongée avait eu pour résultat de faire à Beaumarchais une impopularité effrayante. Assailli chaque jour de lettres anonymes furibondes, attaqué même une fois dans la rue, il ne pouvait plus sortir le soir qu’armé et accompagné. Bergasse, au contraire, était devenu pour un moment l’idole du public ; cette foule qui encombrait la grande salle du parlement, cette foule qui, aux temps du procès Goëzman, portait Beaumarchais en triomphe, accueillit sa victoire avec des murmures, réservant pour son adversaire toutes ses sympathies et toute son admiration. Pourtant, dans cette affaire, la situation de Beaumarchais était incontestablement, en morale et en droit, plus nette que dans l’affaire Goëzman ; mais, comme il avait autrefois un peu abusé peut-être de la faveur de l’opinion, la Providence voulait sans doute qu’il eût à subir toutes les amertumes de son injustice.

Le lendemain, les amis de Bergasse disaient que Beaumarchais avait acheté le parlement. Il l’avait si bien acheté, que je ne puis m’empêcher de transcrire ici un détail intéressant que je trouve dans ses papiers, et qui prouve que le vrai parlement n’avait rien de commun, sous le rapport de l’intégrité, avec le parlement Maupeou.

Dans cette cause célèbre, où figuraient les cinq ou six premiers avocats de Paris, débutait comme avocat-général un jeune magistrat de vingt-neuf ans, Dambray, qui fut depuis chancelier de France sous la restauration. Après les plaidoiries, à la dernière audience, Dambray avait eu à donner ses conclusions et à dégager la cause de