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reproduirons souvent dans leur texte même, afin d’enlever le moins possible à l’originalité piquante du récit que nous avons sous les yeux.

C’est le 2 juillet dernier que les troupes russes ont franchi le Pruth, pénétrant à la fois dans les deux principautés, mais pour se porter en presque totalité dans la Valachie, qui s’avance jusqu’au Danube sur une vaste étendue de terrain. Cette invasion des principautés par une armée russe n’était point un fait nouveau. Jamais cependant ce fait ne s’était présenté dans la même forme, avec le même caractère ; jamais, ajouterons-nous, il n’avait été plus difficile de s’en rendre compte au point de vue du droit international. Sans doute, la situation légale des principautés laisse beaucoup à désirer et constitue au milieu des états de l’Europe moderne une véritable anomalie : elles sont à la fois vassales de la Porte Ottomane et protégées par la Russie ; mais elles n’en sont pas moins partie intégrante de l’empire turc. Les traités les plus favorables à la puissance protectrice le reconnaissent et le proclament. Pour que les armées russes soient autorisées à franchir la frontière qui sépare la Moldo-Valachie de l’empire des tsars, il faut que des circonstances particulières se soient produites, et ces circonstances ont fait totalement défaut à l’occupation qui, en se prolongeant, vient de réveiller chez les Turcs leur vieil orgueil national.

Nous nous rappelons qu’en juillet 1848, lorsque le cabinet de Saint-Pétersbourg voulut expliquer l’entrée de ses troupes dans la Moldo-Valachie, il publia une circulaire où on lisait que « ces provinces n’ont politiquement d’existence, quant à la Russie, qu’en vertu des traités conclus entre elle et la Porte Ottomane, traités n’ayant eux-mêmes rien de commun avec l’ensemble des transactions sur la base desquelles est fondé le droit public de l’Europe. » Il est facile de reconnaître ici l’une des préoccupations constantes de la diplomatie russe, le désir de donner à toutes ses conventions avec l’empire ottoman, surtout à celles qui regardent les principautés, un caractère en quelque sorte privé, et de traiter dans ces occasions en s’isolant le plus possible du reste de l’Europe. Une portion quelconque de la Turquie peut-elle être placée ainsi en dehors du droit commun, et le bénéfice du principe de garantie générale contenu dans le traité de 1841 serait-il nul pour les principautés ? Ce sont là autant de questions auxquelles la réponse ne serait point douteuse et que l’on devrait se poser, si les traités que la Russie elle-même invoque n’attestaient que le droit d’occupation est restreint à quelques cas rares et spéciaux que l’on n’a point eu à signaler dans la crise actuelle.

Les relations de la Porte Ottomane avec la Russie sont réglées par une série de traités dont les plus célèbres sont, par ordre de dates, ceux de Kaïnardji, d’Yassy, de Bucharest, d’Ackerman et d’Andrinople. Ainsi qu’on l’a fait souvent observer, chacun de ces traités marque un pas nouveau vers le but que la Russie s’est proposé dès l’origine de ses luttes avec la Porte, d’obtenir un droit de protectorat sur les principautés. Il ne s’agit d’abord à Kaïnardji que d’un droit d’intercession en faveur des deux provinces ; plus tard, à Ackerman (acte séparé), le droit d’intercéder se transforme en droit de représentation, à Andrinople en droit de garantie ; enfin, dans le règlement organique qui devient en 1834 la loi constitutionnelle de la Moldavie et de la Valachie, le droit de garantie s’appelle droit de protectorat.