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pouvoir, une autre considération devait agir encore sur les intentions du prince Ghika, c’était l’attitude de l’hospodar de Valachie et ses dispositions présumées à se conformer aux exigences de la cour protectrice. Les deux principautés sont liées non moins par la parité des situations et la communauté des intérêts que par l’unité d’origine et de langue. La plus puissante exerce naturellement sur la plus faible une influence considérable, et l’exemple de l’obéissance aux invitations de la Porte n’eût obtenu tout l’effet désirable que s’il eût été donné en même temps par les deux hospodars. Voilà du moins les argumens que font valoir les amis du prince Ghika pour justifier sa conduite. Ces explications sont loin d’être satisfaisantes, lorsqu’on se place au strict point de vue du devoir et du droit, et il serait dangereux d’encourager de semblables capitulations dans un pays où la mollesse des volontés est maintenant une plaie séculaire. Néanmoins, en voyant la plus honnête de ces volontés succomber ainsi, écrasée sous le poids des circonstances, on ne peut résister à de douloureuses réflexions sur le régime politique qui met ce pays à de si cruelles épreuves.

La Porte ne tira parti de l’attitude des hospodars que pour montrer une fois de plus sa modération. Elle était autorisée à prononcer leur déchéance; elle prit en considération la force supérieure qui pesait sur leurs résolutions. Il paraît en effet qu’elle aurait écrit en ce sens aux deux princes; elle n’a point du moins protesté ostensiblement contre leur séjour prolongé dans les principautés et leur persistance à conserver l’ombre de pouvoir qui leur reste. Cette ombre elle-même ne va-t-elle point leur échapper ? L’état de guerre n’aura-t-il point pour conséquence de remplacer successivement toutes les autorités valaques par l’autorité militaire russe ? Jusqu’ici, l’officier russe qui commande Bucharest pour l’armée d’occupation n’avait adressé ses communications au préfet de police valaque que sous une forme officieuse et courtoise. Depuis le jour où le prince Gortchakof a reçu la sommation d’Omer-Pacha, les invitations sont devenues des ordres, et ce n’est peut-être pas sans fondement que les feuilles publiques ont récemment parlé d’une administration russe, qui, sous un titre ou sous un autre, viendrait s’emparer du gouvernement des principautés : l’occupation ne ferait que prendre ainsi son véritable caractère.

Cette occupation, avons-nous dit, ne pèse pas moins sur les particuliers que sur le pays, et nous craindrions d’être taxés d’exagération, si nous reproduisions à ce sujet les plaintes que font entendre les Moldo-Valaques. On sait que les principautés présentent le spectacle d’une population généralement très pauvre sur un sol d’une admirable fécondité, car à peine demande-t-il quelque culture pour produire toutes les céréales en abondance; mais des circonstances constamment malheureuses, parmi lesquelles il faut compter au premier rang les nombreuses visites et les longs séjours qu’y a faits l’armée russe, n’ont jamais laissé le temps aux riches élémens de prospérité que renferme ce pays de se développer et de mûrir : on dirait un champ fertile dont la moisson serait toujours étouffée dès le printemps par une fatalité obstinée. A peine le pays délivré d’une occupation armée commence-t-il à respirer, qu’une nouvelle occupation survient et lui crée de nouvelles charges. L’occupation de 1848 avait eu lieu aux frais des principautés, et elle s’était