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soldée pour la Moldavie et la Valachie par une dette considérable, qui, par l’impôt, retombait presque exclusivement sur la classe des paysans. Cette fois le prince Gortchakof avait annoncé que tout ce qui serait consommé sur le sol valaque serait payé par les caisses de l’armée russe. On avait néanmoins remarqué que la proclamation qui renfermait ces assurances était peu explicite sur deux points essentiels : d’abord les prix seraient fixés à l’avance d’un commun accord avec les gouvernemens des principautés, ensuite les fournitures seraient acquittées aux mains de ces gouvernemens « en temps opportun. »

Le prix qui a été choisi pour les approvisionnemens d’occupation est, comme on sait, celui de la fin de juin. Cette année la récolte en céréales a été admirable en Valachie, et les blés étaient, lors de l’entrée des Russes, à un taux très modéré, car les craintes que les pays de l’Occident commençaient à concevoir sur l’insuffisance de la moisson n’avaient point encore produit leur effet sur les marchés mieux approvisionnés de l’Europe orientale. Les producteurs moldo-valaques n’auraient toutefois souffert qu’indirectement de ces dispositions prises d’autorité, si l’état de l’embouchure du Danube à Soulina n’était pas venu apporter un obstacle naturel aux grandes expéditions que les propriétaires projetaient de faire pour l’Occident. On aurait pu facilement arrêter les progrès de l’encombrement de cette embouchure, si fâcheux à la fois pour le commerce des principautés et pour celui des pays de l’Europe qui avaient cette année besoin de suppléer à l’insuffisance de leur récolte. Il y a deux ans, la Russie s’était procuré en Angleterre une machine à draguer pour le curage de la barre; mais cette puissante machine, dont on était en droit de beaucoup attendre, si elle avait été employée avec toute l’activité nécessaire, a été plusieurs fois interrompue dans son travail sous divers prétextes, puis transportée à des endroits différens, sans aucune suite dans les opérations, sans la continuité qu’exige une pareille entreprise pour donner des résultats appréciables. Le commerce d’exportation pour les céréales, qui a ses principaux centres à Galatz et à Ibraïla, s’est donc trouvé cette année à peu près interdit aux navires européens. L’agriculture valaque, la grande et l’unique ressource du pays, a été ainsi paralysée par suite de circonstances que l’opinion générale se plaît à faire rentrer dans le plan d’occupation, et l’intérêt pousse aujourd’hui en Valachie des plaintes que le patriotisme n’aurait peut-être pas osé faire entendre.

En déplorant ces circonstances, les Moldo-Valaques pouvaient du moins conserver l’espoir de voir leurs avances remboursées en temps opportun. Mais que signifiait cette expression à double sens ? Le gouvernement valaque ne devait pas tarder à l’apprendre. Déjà en avance de huit à dix millions de piastres, il s’est hasardé enfin à demander un à-compte de cinquante mille ducats au général Satler, intendant général de l’armée d’occupation. Le général Satler n’a point caché l’intention formelle où il était d’acquitter la dette réclamée, conformément aux engagemens pris avec solennité dans la proclamation du prince Gortchakof. En même temps toutefois que l’intendant de l’armée renouvelait ainsi les promesses du général en chef, le chargé d’affaires de Rassie faisait auprès du gouvernement valaque une démarche ayant pour objet d’exiger le trimestre échu de la dette résultant de l’indemnité pour frais de l’occupation durant les trois années 1848, 49 et 50.