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par des comparaisons multipliées et mettre enfin en pratique avec toute l’autorité d’un talent éprouvé. Le noviciat de M. Cousin dans les collèges de Paris avait préparé ses débuts philosophiques à la Sorbonne ; l’analyse des procédés de la pensée n’a pas préparé moins sûrement ses études et ses travaux purement littéraires. Habitué depuis longtemps à la discussion des questions les plus délicates, à la solution des problèmes les plus ardus, quand il a voulu aborder l’expression des sentimens généraux qui forment le fond de toute littérature, il s’est acquitté sans effort de cette nouvelle tâche. Bien avant 1840 il parlait et écrivait très habilement, mais peut-être n’avait-il pas songé à se rendre compte des procédés qu’il suivait. En 1840, il s’applique avec un soin tout particulier à l’étude des écrivains français du XVIIe siècle, et son style porte l’empreinte de sa prédilection pour cette grande époque. Ramené à ces termes, le jugement de M. Cousin sur lui-même peut être accepté. Son style, depuis 1840, est devenu plus savant, plus pur, mais non plus limpide et plus éclatant. Il a senti de bonne fleure toute l’importance de sa clarté : et le besoin impérieux de ne jamais présenter sa pensée qu’après l’avoir mise au net. Aussi je comprends très-bien sa prédilection passionnée pour le XVIIe siècle de la France, car à aucune époque notre langue n’a possédé une telle clarté, une telle transparence. Naïve dans Froissard, fine et déliée dans Philippe de Commines, abondante et riche en images dans Montaigne et dans Rabelais, elle n’a trouvé la précision et la clarté qu’aux XVIIe siècle. La langue du siècle suivant, tout en gardant ces deux qualités si précieuses, a perdu l’ampleur et la majesté que nous admirons dans le Discours sur l’Histoire universelle et dans l’Histoire des Variations. Il ne faut donc pas s’étonner que M. Cousin préfère le XVIIe siècle à tous les autres âges de notre littérature. L’instinct de son esprit l’avait toujours porté de ce côté, et ses premiers écrits sont là pour l’attester. Depuis 1840, il s’est appliqué à éprouver, à contrôler de mille manières les principes auxquels il obéissait depuis longtemps, et son instinct s’est transformé en volonté réfléchie. Il a discipliné son talent, et possède maintenant une méthode littéraire aussi bien qu’une méthode philosophique.


I

Je laisse à d’autres le soin d’apprécier les travaux philosophiques de M. Cousin[1] ; je ne veux parler que de ses travaux littéraires. Cependant je ne crois pas pouvoir me dispenser de caractériser d’une manière générale son enseignement de la Sorbonne, et je choisirai,

  1. Voyez, sur les travaux philosophiques de M. Cousin, la Revue du 1er janvier 1850.