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d’Arnauld et de Nicole, le pénitent du père Singlin, désespérant de trouver, soit en lui-même, soit hors de lui-même, les preuves de l’existence de Dieu, met la question à pile ou face. Les éditions de Port Royal et de Bossuet ne mettent pas sur le compte de Pascal cette étrange manière de résoudre le problème. Au lieu de laisser l’auteur parler en son nom, comme le manuscrit original, elles donnent à penser qu’il s’adresse à un incrédule endurci dont l’esprit repousse avec un égal dédain les preuves physiques et métaphysiques de l’existence de Dieu. M. Cousin, en effaçant l’interpolation de port Royal et en rétablissant quelques lignes retranchées sans doute par Nicole ou Arnauld, a rendu à ce morceau, son véritable sens. Il est maintenant démontré jusqu’à la dernière évidence que l’esprit rebelle aux preuves physiques et métaphysiques de l’existence de Dieu n’est autre que Pascal lui-même. C’est Pascal qui met Dieu à pile ou face. C’est un Pascal tout nouveau qu’il était difficile de deviner ou d’entrevoir dans les éditions de Port-Royal ou de Bossuet. La foi fondée sur la règle des paris est une foi singulière et n’a rien de bien consolant, il en faut convenir. C’est pourtant la foi de Pascal. Port-Royal, par respect pour sa mémoire, n’avait pas osé l’avouer ; le manuscrit autographe ne permet pas l’ombre d’un doute. La restitution complète de ce chapitre est le point capital du rapport lu à l’Académie. La restitution du chapitre sur les deux infinis est assurément très curieuse, mais n’offre pas le même intérêt.

Chose étrange, l’homme qui n’avait pas craint de jouer l’existence de Dieu à pile ou face, dont la foi, bien que sincère, je veux le croire, était assise sur de si frêles fondemens, a commis dans sa vie un acte d’intolérance qui ne s’accorde guère avec la loyauté constante de son caractère, encore moins avec l’élévation constante de sa pensée. L’ardent adversaire des jésuites. À dénoncé un capucin comme hérétique. M. Cousin a trouvé dans un manuscrit inédit le récit détaillé de ce triste épisode, qui jusqu’à présent n’était connu que d’une manière très vague. La foi chrétienne sans la charité est assez difficile à comprendre, car, dépouillée de ce divin caractère, elle ne peut plus invoquer l’Évangile, et pourtant Blaise Pascal est descendu une fois en sa vie jusqu’au rôle de dénonciateur. Il avait entendu, avec deux de ses amis, l’exposition d’une théologie nouvelle par le père Saint-Ange. Ce capucin était tout simplement un fou enivré de lui-même, dont la solitude, la méditation, et l’orgueil avaient troublé les facultés. Nous avons le procès-verbal de ces conférences, rédigé et signé par Pascal et ses amis. Il n’y a pas un mot de raison dans la doctrine exposée par le père Saint-Ange ; mais de pareilles divagations pouvaient-elles passer pour une attaque dirigée contre l’église ? et d ailleurs appartenait-il à Pascal, qui croyait parce qu’il voulait croire,