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de la raison : une logique rigoureuse le conduisait à l’absurde.

Arnauld et Nicole, bien que jansénistes, étaient pourtant demeurés cartésiens, et c’est par respect pour Descartes qu’ils ont mutilé les Pensées de leur ami. Tout en adoptant la doctrine de la grâce, ils n’avaient pas renoncé à la philosophie : au prix d’une inconséquence, ils avaient sauvé leur raison. Les écrits de Nicole prouvent jusqu’à la dernière évidence que son admiration pour saint Augustin n’avait pas ébranlé sa foi en Descartes. Dans la Logique de Port-Royal, il défend éloquemment le fondateur de la philosophie moderne. Arnauld, malgré les instances réitérées de ses amis, qui voulaient l’obliger à renier son maître et lui reprochaient sa foi philosophique, n’a jamais abandonné la cause de Descartes. On avait beau lui dire que la liberté de penser ne pouvait se concilier avec la grâce ; il persistait résolument dans son inconséquence. Fénelon et Bossuet, que personne n’accusera, j’imagine, d’impiété, sont demeurés, comme Nicole et Arnauld fidèles à Descartes. En parlant de l’existence de Dieu, ils n’ont pas répudié les lumières de la raison. Ils croyaient à bon droit que l’homme livré à ses seules forces peut trouver en lui-même et hors de lui-même les preuves d’une cause première. Chrétiens fervens et convaincus, avant d’invoquer la révélation, ils cherchaient dans le spectacle de la nature, dans l’étude intime de la conscience, des argumens capables d’anéantir tous les doutes, et leur recherche n’était pas vaine. Le témoignage de ces deux évêques, ajouté à celui d’Arnauld et de Nicole, prouve clairement que la philosophie, je veux dire la philosophie spiritualiste, loin d’obscurcir le sentiment religieux, le développe et le féconde.

Les Pensées de Pascal telles que nous les connaissons maintenant, grâce à M. Cousin, hostiles à la philosophie, pourront difficilement être invoquées comme un argument victorieux en faveur de la religion. Elles garderont toujours dans l’histoire de notre langue une place très élevée. Pour la précision et la vigueur du style, Pascal n’est pas inférieur à Bossuet : au point de vue purement littéraire, c’est un homme de premier ordre ; mais pour être juste ; il ne faut pas craindre d’affirmer qu’il a mérité plus d’une fois le reproche d’incohérence. La gloire de l’écrivain demeure entière ; celle du penseur est singulièrement entamée par la lecture attentive du manuscrit autographe. Il est désormais impossible de se faire illusion à cet égard.

Quelle eût été la forme du livre pour lequel Pascal avait rassemblé ces pensées ? M. Cousin l’a recherché avec une curiosité diligente, et les renseignemens qu’il nous donne ne sont pas de pures conjectures. Quelques passages du manuscrit négligés par tous les éditeurs donnent à penser que l’apologie de la religion chrétienne n’eût pas été