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de Rocroy. C’est un hors-d’œuvre assurément, mais un hors-d’œuvre qui trouve son excuse dans l’admiration. Quant au parallèle que M. Cousin établit entre le duc d Enghien et le général Bonaparte, je le verrais disparaître sans regret, car il n’ajoute rien à l’intérêt du récit et le refroidit plutôt qu’il ne l’anime.

Le biographe de Mme de Longueville nous retrace avec grâce, mais peut-être avec un peu trop d’indulgence, le débat poétique engagé entre Benserade et Voiture. Mme de Montbazon tenait pour Benserade, Mme de Longueville pour Voiture. La cour était divisée en jobelins et en uranistes : débat mémorable digne de la plume de Molière, que les beaux-esprits prenaient alors au sérieux, et que l’écrivain n’a peut-être pas jugé avec la pensée de notre temps. Benserade comparait son martyre amoureux à la misère de Job étendu sur son fumier, et se déclarait même plus malheureux que Job, tout cela dans un style prétentieux, tourmenté, mais d’ailleurs très prosaïque. Voiture, s’adressant à Uranie (peut=être voulait-il désigner Mme de Longueville), se plaignait de sa souffrance avec une afféterie qui passait alors pourra pure élégance ; puis, après avoir dénoncé bien haut la cruauté de la beauté incomparable qu’il désespérait de fléchir, il terminait en disant qu’il chérissait sa douleur, comme un trésor sans prix. Si j’avais à prendre parti pour les jobelins ou les uranistes, mon embarras serait fort grand, je l’avoue. Si le sonnet de Benserade ne m’agrée pas, le sonnet de Voiture ne me plaît guère. M. Cousin, en biographe dévoué, s’est rangé du côté des uranistes, c’est-à-dire du côté de Mme de Longueville. Il va même jusqu’à trouver dans le sonnet de Voiture une veine de sensibilité ; je confesse que mes yeux n’ont pas réussi à l’apercevoir. La duchesse de Montbazon fut vaincue, et avec elle les jobelins ; les uranistes, défendus par Mme de Longueville, furent proclamés gens de goût. Il y a sans doute un côté puéril dans ce débat poétique ; pourtant je ne saurais blâmer M. Cousin de l’avoir raconté tout au long, car c’est un trait de mœurs qui ne devait pas être négligé.

Les biographies de Santa-Rosa et de Kant dans les dernières années de leur vie méritent une attention spéciale. Doué d’un esprit droit et d’un cœur ardent, Santa-Rosa a joué un rôle important dans la révolution de Piémont. M Cousin, lié avec lui d’une étroite amitié, raconte au prince de la Cisterna tout ce qu’il sait de cet homme généreux et dévoué. C’est un des récits les plus touchans que je connaisse. Cependant je ne puis m’empêcher d’en blâmer le début, car ce début n’est rien moins que l’apologie absolue du succès, ou du moins, et la différence n’est pas grande, la condamnation expresse de tous les dévouemens que la victoire ne vient pas couronner. Si une telle maxime passait jamais à l’état de monnaie courante, le droit ne serait