Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin de l’art français au XVIIe siècle. » Dans la première leçon, il détermine à la fois l’idée du beau pris en lui-même, sans acception de forme, et les facultés qui servent à la perception de cette idée. Sur le premier point, il expose une doctrine que je crois parfaitement vraie ; il démontre que l’idée du beau ne peut être confondue dans aucun cas avec l’idée de l’agréable. S’appuyant tour à tour sur la logique et sur l’histoire, il arrive sans peine à porter la conviction dans l’esprit du lecteur. Ce qui nous plaît, en effet, soit dans la nature inanimée, soit parmi les créatures vivantes, n’excite pas toujours en nous le sentiment de l’admiration. Or le sentiment de l’admiration atteste seul la vraie beauté ; l’agréable n’éveille en nous qu’un sentiment beaucoup moins élevé, le désir.

M. Cousin remarque avec raison que la philosophie du XVIIIe siècle non-seulement a négligé l’esthétique, mais ne pouvait pas ne pas la négliger. Ce n’était point de sa part un oubli involontaire, une pure étourderie, mais un aveu formel d’impuissance. Comment Locke et Condillac auraient-ils entrepris l’étude du beau ? Après avoir tenté d’expliquer la génération de toutes nos idées par la seule sensation, comment auraient-ils pu analyser le sentiment désintéressé de l’admiration que la beauté suscite en nous ? Pour Locke et pour Condillac, le beau se confondait et devait se confondre avec l’agréable. La doctrine spiritualiste est seule capable d’entreprendre et de poursuivre avec fruit l’étude du beau, car seule elle distingue nettement le trouble des sens de l’émotion de l’âme. Le désir le plus ardent et le plus impétueux, en présence d’un objet agréable qui nous charme et nous attire, n’a rien à démêler avec le sentiment de la beauté. Quelquefois, il est vrai, le même objet peut exciter tour à tour le désir et l’admiration, mais ce n’est pas une raison pour confondre l’admiration et le désir. Dès que l’admiration nous envahit et nous domine, il n’y a pas place dans notre âme pour un autre sentiment. Dès que le désir s’éveille, le rôle de l’âme n’est plus qu’un rôle secondaire, et les sens reprennent leur empire. En un mot, il peut bien y avoir entre ces deux sentimens, admiration et désir, un rapport de succession, jamais un rapport de simultanéité. C’est ce que la doctrine spiritualiste a parfaitement compris, parfaitement expliqué. Aussi ne faut-il pas s’étonner que Platon ait consacré tant de pages éloquentes à l’analyse du beau dans la nature et dans l’art. Celui qui avait écrit le Phédon devait écrire le Phèdre, et pouvait seul l’écrire. Les grandes pensées exprimées dans le Banquet sur le type de la beauté souveraine qui se trouve en Dieu, ne pouvaient trouver place dans la doctrine de Locke et de Condillac. Tout ce premier point est traité par M. Cousin dans un langage lumineux et précis. Après avoir lu ce qu’il dit sur la conception générale du beau, il est impossible