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l’impossibilité véritable de retrouver les traces du poison et de convaincre les criminels. Ces deux choses sont connexes par le fait, mais elles le sont aussi par le fond même des choses et par une nécessité profonde qui tient aux lois même de l’histoire ; en d’autres termes, à chaque degré de l’évolution de l’humanité correspond un certain degré déterminé de la moralité générale.

Dans de certaines époques d’une érudition mal digérée, on s’est souvent plu à imaginer que les peuples anciens avaient possédé des sciences très développées que les modernes ne faisaient que retrouver successivement. En considérant la chose d’une façon abstraite et avant toute enquête, il ne serait pas impossible qu’en effet des peuples antiques, par un travail semblable au nôtre, fussent arrivés à un point égal ou supérieur, et que quelque grand accident naturel, des inondations, des cataclysmes, des enfoncemens de continens, des déplacemens de mers, des pestes infiniment plus violentes que le choléra ou la mort noire du moyen âge, eussent détruit toute cette civilisation et l’eussent ramenée à l’état sauvage ; mais rien ne prouve qu’il en ait été ainsi. Ce sont des jeux de l’imagination, et quand on en vient aux faits eux-mêmes, on ne trouve que la série historique connue, qui va, en remontant des peuples modernes, jusqu’aux époques les plus reculées de l’Égypte. Maintenant, si l’on veut, en quelqu’un des points de cette série, placer des sciences très avancées, on sera soudainement arrêté par un obstacle : c’est que ces sciences supposent un tout autre ordre de choses que celui au milieu duquel on prétend les intercaler. Que l’on donne, si l’on veut, aux Égyptiens sous les pasteurs ou sous des pharaons encore plus anciens la connaissance du système du monde, de la gravitation universelle et de la forme de la terre, et qu’on se demande à quelles conditions cela aurait pu être su : il fallait tout le développement mathématique jusqu’au calcul différentiel et intégral, il fallait tous les travaux sur la pesanteur, il fallait aller porter le pendule sous l’équateur. De plus, si un pareil travail avait été fait, des esprits assez curieux et assez sagaces pour pénétrer si loin dans les secrets du monde auraient étendu leurs regards sur la chimie, sur la biologie, sur la science sociale ; tout se serait senti de cette élaboration générale, et quelque chose de semblable à notre civilisation aurait nécessairement apparu dans ces temps antiques. Or, comme rien de pareil ne s’y montre, il faut, remontant de proche en proche la chaîne des notions communes, dire que l’état des connaissances en astronomie et en mathématiques ne pouvait dépasser ce qui est indiqué par l’état de l’ensemble social.

Ces relations résultent des conditions mêmes qui font de la société un grand corps et qui ne permettent pas qu’une partie se développe