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de la confiance ce que d’autres cherchent en vain à conquérir par la force. Bolingbroke espérait tout à la fois séduire, flatter et relever un prince assurément très peu fait pour réaliser cet idéal. Le vice de l’ouvrage, c’est que, tout en prêchant la constitution, il promet, ou peu s’en faut, le pouvoir illimité au prince qui la comprendra comme lui, car il dominera tous les partis. Or c’est là une pure chimère ou l’anéantissement de la liberté politique. Celle-ci ne peut subsister sans les partis, et le prince assez fort pour les dédaigner est maître absolu. On a beau dire que c’est à la condition de sacrifier son égoïsme au bien public et de maintenir tous les droits de la nation; c’est un artifice de langage fait pour tromper le monarque ou les sujets. Dériver la liberté de l’extension de la prérogative et réciproquement, c’est un sophisme tentateur qui n’enhardit les rois qu’à faire leur volonté. Quand l’opposition ne sait plus où se prendre, elle essaie souvent de ce moyen, et c’est l’aveu de son impuissance ou de sa mauvaise foi.

En 1739, l’opposition songea à se retirer du parlement. L’abstention systématique est la ressource souvent factieuse et presque toujours inefficace de la colère des partis : c’est une protestation contre les institutions mêmes; c’est un appel au peuple. Bolingbroke, qui conseillait la retraite, voulait qu’on déclarât la constitution réellement anéantie. Wyndham prononça dans ce sens un discours très vif, mais il fut peu suivi. Lord Cornbury lui-même, l’ami et l’élève de Bolingbroke, ne se retira pas. On voit, dans les lettres de ce dernier à lord Marchmont, qu’il s’efforçait encore de tracer à distance un plan de conduite à l’opposition, et que l’indécision dont il trouva qu’elle faisait preuve le dégoûta profondément. « N’en sommes-nous pas, mylord, écrivait-il, à l’âge de radotage de notre république? Ne sommes-nous pas dans la seconde enfance? Dans la première seule, il y a espérance d’amendement. » L’esprit de parti a de ces découragemens et de ces injustices. Depuis un siècle et demi, à presque toutes les époques, des hommes même éminens ont déploré le déclin de la constitution britannique et lui ont prédit l’avenir le plus sombre. On sait comment les événemens ont traité ces prophéties.

Bolingbroke avait pu échanger les siennes contre les gémissemens des patriotes dans un voyage de quelques mois qu’il fit en Angleterre pour terminer de régler ses affaires par la vente de Dawley. Cependant il y garda une sorte d’incognito et ne quitta guère Pope et Twickenham. On sait seulement qu’il vit quelquefois le prince de Galles, et peut-être est-ce dans ces entretiens qu’il conçut son Idée d’un roi patriote. Je n’ai pu constater s’il écrivit cet ouvrage en France ou en Angleterre. Quoi qu’il en soit, son action demeura secrète et renfermée dans un petit cercle; toute démarche publique et bruyante