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dans une meilleure lumière celles qui lui semblaient de nature à lui attirer un compliment. Au bout d’une heure, toute apparence de recherche, toute préoccupation de bien-être domestique avaient disparu. Il avait calculé que cette mise en scène se chargerait de révéler tout d’abord à l’hôte qu’il attendait une conformité d’existence qui lui servirait de point de départ pour en arriver à ses fins.

Le lendemain dans la matinée, Antoine vint comme il l’avait promis la veille. Francis était bien en scène, comme on dit en termes de théâtre. Antoine avait parcouru d’un prompt regard l’atelier, et l’examen avait paru être favorable. Le premier quart d’heure fui employé en banalités ; mais étant chez un confrère, la politesse exigeait qu’Antoine donnât quelque attention aux études qu’il avait devant les yeux. Antoine suivit l’usage, d’autant plus qu’il y avait sur le chevalet une toile qui était placée trop bien en vue pour qu’on ne devinât pas dans quel dessein. Antoine loua avec intelligence ce qu’il voyait. Quand une chose lui paraissait défectueuse, il la signalait, comme pour donner plus d’importance à ses éloges ; mais on sentait l’embarras, l’indécision dans ses paroles.

Francis ne se méprit pas sur le compte d’Antoine. Celui-ci le payait, avec une apparence d’intérêt, d’un léger service qu’il lui avait rendu. — Les pieds lui brûlent chez moi, il voudrait déjà être dans l’escalier, et si j’avais une pendule, il regarderait l’heure, pensait Francis. Ce qui l’étonnait surtout, c’est qu’Antoine ne lui parlait point des tableaux récemment exposés par Francis. Dans tous les arts, les jeunes gens qui commencent à se produire ont la prétention qu’on doit connaître leurs œuvres, et qu’elles sont l’objet de la préoccupation générale. Aussi le silence que l’on conserve devant eux équivaut à la plus amère des critiques ; l’ignorance équivaut à une injure. Ne pouvant admettre qu’Antoine ne connût pas ses tableaux, Francis en concluait que, s’il n’avait pas saisi cette occasion de lui complaire, c’est que son opinion n’était pas favorable, et intérieurement il trouvait que la société des buveurs d’eau, représentée en ce moment par Antoine, était bien difficile. Cependant on sortit de ce terrain vague. Francis eut l’adresse de glisser, à propos d’un maître dont on avait parlé, une critique dont il exagéra la violence avec intention. À la vivacité avec laquelle on lui répondit, il devina qu’il avait touché un ressort, et qu’Antoine, venu en visite officielle chez un étranger vis-à-vis duquel il voulait rester étranger, allait enfin se montrer ce qu’il était réellement. Antoine ne pouvait voir toucher à ses idoles sans les défendre, et il lui était impossible d’aborder une discussion d’art sans qu’il se passionnât. Une fois emporté, sa franche nature brisait tous les liens de la réticence, sa personnalité entière se révélait, non-seulement comme artiste, mais aussi comme homme.