Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principe de l’esclavage, et par suite il se fit peu à peu, du XIIe au XIVe siècle, une distinction entre les possesseurs du sol. Comme les esclaves tout à l’heure liés à la glèbe pouvaient désormais la quitter, un certain nombre de propriétaires, incapables de cultiver seuls des domaines étendus, les partagèrent en lots assez restreints pour que leurs serfs en dirigeassent l’exploitation, sauf certaines conditions et redevances ; mais ceux qui ne possédaient que de petits domaines, cultivés naguère à peu de frais grâce à l’asservissement de la classe inférieure, se trouvèrent incapables d’offrir à ces affranchis un paiement ou des conditions équitables, et se virent dans la nécessité de se mettre au service du grand propriétaire en prenant à ferme une partie de ses domaines. On comprend quelle fut la conséquence de ce régime, que la nécessité imposa aux possesseurs de petits domaines. Pendant que la dernière classe de la nation montait vers une condition plus indépendante et meilleure, celle des paysans était divisée ; les plus puissans augmentaient leur richesse, s’unissaient au clergé catholique, prenaient des titres, des armoiries, un blason, formaient une noblesse ; les inférieurs au contraire perdaient beaucoup de leur importance et de leur dignité, et se confondaient presque avec leurs anciens esclaves.

L’introduction de la féodalité germanique consacra cette inégalité, qu’elle rendit plus oppressive et plus odieuse ; — celle de la réforme protestante au XVIe siècle augmenta le crédit et même les possessions de la noblesse, puisqu’elle sécularisa au profit des grands propriétaires ou de la royauté les biens immenses occupés jadis par l’église catholique, et qu’elle réunit en une seule les deux aristocraties ecclésiastique et laïque. Les nobles construisirent alors plus que jamais ces châteaux fortifiés d’où ils faisaient peser leur commandement Sur une vaste étendue de pays, sans reconnaître aucun gouvernement supérieur à leurs volontés et à leurs caprices. La législation, modelée sur leurs intérêts, avait exagéré le principe féodal de l’hérédité jusqu’à ne pas permettre à l’héritier de vendre le domaine de famille, proclamé inaliénable. Les paysans (ce nom ne pouvait s’appliquer désormais qu’aux serfs et peut-être à quelques petits propriétaires bien peu sûrs du lendemain) étaient soumis de la sorte à une oppression régulière, légale, et qui semblait devoir être éternelle. Les guerres nombreuses du XVIIe siècle ne firent qu’augmenter le malheur des paysans en les entraînant aux frontières ou chez l’ennemi pendant que les cultures dont ils étaient responsables dépérissaient.

En Danemark comme en France, la royauté apparut aux populations opprimées comme une protectrice naturelle contre la puissance excessive de la noblesse. Dans les pays du nord de L’Europe comme chez nous, quoique bien plus tardivement, une classe moyenne s’était