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parmi les nations de l’Europe moderne. Quatre hommes d’un esprit éminent et d’un cœur généreux eurent la gloire de seconder Frédéric VI dans l’exécution de son œuvre. Ce furent : le second Bernstorf, neveu de celui que le grand Frédéric appelait l’oracle danois, et à qui ses paysans élevèrent une colonne ; Reventlow, l’intime ami de ce sage ministre ; puis leur ami commun Schimmelmann, ministre des finances, et enfin le procureur-général Colbiœrnsen, d’une éloquence antique, soit à la tribune, soit dans la polémique.

Déjà quelques propriétaires éclairés ou bienfaisans avaient accompli sur leurs domaines des réformes utiles à leurs paysans. Dès 1669 même, une commission avait été nommée, et quelques décrets promulgués en flaveur des paysans fermiers (fœstere), mais ces tentatives de réformes, souvent interrompues, n’avaient été d’aucune efficacité. Plus récemment, la reine veuve, Sophie-Madeleine, les comtes Bernstorf et de Moltke avaient accordé beaucoup d’affranchissemens, aboli la corvée et la dîme en nature, et conclu des baux qui, améliorant le fonds, faisaient vivre à l’aise le cultivateur, assujetti à une redevance modique, et enrichissaient en même temps le propriétaire. Cependant les intérêts présens et même les droits des propriétaires s’opposaient à ce qu’une réforme radicale fût tentée. Il fallut donc que la royauté se mit à la tête d’un mouvement que les intérêts futurs du pays rendaient si désirable, et parce que tout pouvoir est fort qui se fait l’interprète des sentimens et des vœux légitimes de toute une nation, la royauté réussit dans son œuvre. Protectrice naturelle de tous les droits acquis, même de ceux qui semblaient excessifs ou opposés à des droits plus généraux, naturels et imprescriptibles, la royauté ne porta aucune atteinte violente ou perfide à la constitution ou aux règles établies pour la propriété privée ; elle se contenta de faire une solennelle expérience aux yeux de tous sur les terres immédiates de la couronne. — La réforme royale commença dans les vastes domaines de Kronborg et de Frederiksborg. On abolit pour les paysans qui en dépendaient le nom et les conditions du servage ; la corvée fut très exactement définie ; d’arbitraire qu’elle était, on la rendit fixe, on la régla par des conventions dont l’exécution, surveillée par la loi, fut imposée au seigneur et au paysan ; les dîmes devinrent moins oppressives ; les terres furent partagées le plus équitablement possible, et on distribua de petits lots aux plus pauvres, aux plus dénués d’entre les paysans. Ceux qui appliquèrent avec zèle et succès les nouvelles conditions obtinrent même des concessions importantes de baux et d’héritages, et on leur prépara ainsi les moyens d’arriver non-seulement, à la liberté civile, mais au rang de fermiers et presque de propriétaires libres, ne devant plus rien qu’à leur travail.