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envoyées en France à Bolingbroke. Outré qu’on lui proposât une suppression dans son œuvre, ce dernier prépara une réponse très-vive dont on eut grand’peine à obtenir de lui le sacrifice. En apprenant une nouvelle indiscrétion, tous ses ressentimens se réveillèrent. Il était choqué d’ailleurs que Pope eût désigné Warburton pour l’éditeur de ses œuvres. Depuis longtemps il voulait se venger du théologien. Tous deux étaient, au dire de Disraeli, les deux plus arrogans génies qui aient jamais paru. En outre Pope avait fait quelques retranchemens et quelques corrections dans le texte des écrits de Bolingbroke, et les malveillans prétendaient que, lui ayant fait payer le prix de l’impression des quinze cents exemplaires, il avait calculé, espérant lui survivre, qu’il les vendrait avec grand profit. Nous savons combien Bolingbroke était vindicatif. Il voulut que le public fût mis dans les confidences de son grief et partageât son ressentiment. Il avait maintenant pour commensal un Écossais, David Mallet, secrétaire en sous-ordre du prince de Galles, et à qui l’on doit une vie du chancelier Bacon. Quoique ce Mallet eût été un des admirateurs publics de Pope, il lui donna ses lettres sur le patriotisme, sur un roi patriote, etc., et le chargea d’en faire une nouvelle édition avec une préface où tout serait raconté (1749). Le manuscrit de cette préface est au British Museum avec des corrections de Bolingbroke. Cette publication fit grand bruit. Ces procédés au moins singuliers entre deux amis célèbres, ces dénonciations tardives, amusèrent la malignité de leurs ennemis, la malice des indifférens. Il parut des brochures en grand nombre, et Warburton, indigné, prit la plume pour défendre la mémoire de Pope. Il s’attira une réponse anonyme, écrite par Bolingbroke, et qui portait ce titre étrange : Epitre familière au plus imprudent de tous les hommes vivans; mais ce qu’il y eut de plus fâcheux pour notre irritable auteur, c’est que les écrits qu’il faisait enfin paraître avaient perdu de leur à-propos et ne furent admirés que pour le style. Walpole était mort depuis quatre ans. Toutes les colères étaient oubliées. Lyttelton, à qui deux de ces écrits étaient adressés, demanda qu’on n’y laissât rien de trop vif contre Walpole, maintenant qu’il était lié avec tous ses amis, et Pitt, qui avait fait une évolution du même genre, dit à Horace d’un air fort dégagé qu’il avait lu tout cela autrefois, dans un temps où il admirait Bolingbroke plus qu’il ne le faisait aujourd’hui. En tout, cette affaire, à laquelle le caractère et la volonté de l’homme donnèrent seuls de l’importance, ne lui valut que des ennuis et dut lui faire sentir qu’il vieillissait au milieu d’un monde nouveau. « Je suis singulier dans tout ce qui m’arrive, écrivait-il à lord Marchmont, une espèce à part dans la société politique, et ceux qui n’osent attaquer personne autre peuvent m’attaquer,