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à peine ridée, si quelque procès n’en venait parfois remettre sous nos yeux l’image bizarre et violente. Que pourrait-on dire du procès qui se déroule actuellement devant la cour d’assises, et qui approche du jugement. C’est un complot contre la vie de l’empereur, — triste et meurtrière pensée qui a toujours sa source mystérieuse dans quelque bas-fonds de société secrète. Il y a dans une cause de ce genre tout un côté juridique dont nous n’avons rien à dire, on le comprend ; mais par quelle fortune singulière ces procès ramènent-ils toujours sur la scène, à titre de figure épisodique, quelque personnage de février ? Soyez donc un homme d’état émérite, jeté un jour par le hasard d’une révolution dans un ministère, pour être pris en flagrant délit de divulgation des secrets diplomatiques, pour avoir à essuyer la juste semonce d’un magistrat et être obligé de convenir que vous avez eu tort !

Spectacle singulier que celui d’un temps de désordre moral et intellectuel, où toutes les notions se troublent et s’altèrent ! Qu’en résulte-t-il ? Il en résulte cette torpeur où on s’endort et d’où on ne se réveille que pour se livrer aux hallucinations, aux évocations magiques, aux merveilleuses danses de Saint-Gui des tables tournantes. Nous n’en sommes point quittes en effet avec les tables et leurs prodiges, et quel signe peindrait mieux une époque ? Il est donc vrai qu’il y a des momens où la pauvre cervelle humaine ne peut résister à quelque souffle mystérieux qui passe dans l’air, et lui jette comme un aliment malsain quelque phénomène inexpliqué ? Il y a un siècle, on allait au cimetière Saint-Médard pour se donner des émotions nerveuses ; on se convulsionnait au tombeau du diacre Pâris ; il y avait le miracle de l’épée qu’on cherchait à enfoncer dans la poitrine d’une jeune fille, mais qui n’entrait pas ; il y avait le miracle du feu et du brasier ardent dont on s’approchait sans se brûler. Aujourd’hui ce sont les tables qui tournent, et non-seulement elles tournent, mais elles parlent, elles épèlent l’alphabet, elles prophétisent, elles révèlent le passé et l’avenir, elles sont l’incarnation de quelque personne morte qui se révèle tout à coup pour raconter ses joies et ses souffrances, — et une foule de spectateurs attroupés attendent avec une singulière émotion le miracle. Qu’il y ait dans tout cela les gens naïfs et ceux qui le sont moins, cela n’est pas douteux ; mais ce qui est plus étrange, c’est de voir des membres du clergé se livrer, avec un zèle digne d’un meilleur but, à la magique expérience. Ils ne voient pas ce qu’il en peut coûtera la religion, sans compter le ridicule ; ils ne voient pas quel mélange de matérialisme et de mysticisme il y a dans ces superstitions bizarres qui se retrouvent sous une forme ou sous l’autre dans tous les temps ; n’importe, l’expérience n’en a pas moins eu lieu chez M. le curé d’Herblay, près Versailles. La table, non sans se faire prier pourtant, a fini par parler, et elle a avoué qu’elle était le démon. Par exemple le démon n’entend pas le latin ; il n’entend que le français. Sauf cette lacune, dans son instruction, il a répondu très exactement, disant son nom au narrateur de la scène, de tout quoi il a été dressé procès-verbal pour être transmis solennellement à Mgr l’évêque de Versailles, qui se trouve ainsi mis en demeure de se prononcer, à moins qu’il ne préfère rire. N’est-ce point là en effet une occupation digne de prêtres ? Lorsqu’on les convie à jeter les yeux sur leur siècle, à se mêler à lui pour le diriger, est-ce donc pour qu’ils en prennent le plus mauvais esprit, pour qu’ils se prêtent à ses crédulités, au lieu de