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chercher le seul secret, le vrai et important secret, celui de transformer les âmes malades en leur faisant sentir la salutaire puissance des vérités religieuses. Après cela, nous le savons bien, il y a une foule de personnes naïves et de bonne foi qui ont soif de la vérité, qui demandent aux savans une explication, la plus petite explication. En vérité, il se pourrait bien que les savans se contentassent de leur répondre, comme M. Babinet l’autre jour à l’Académie des Sciences, par une spirituelle moquerie. Et puis, quand les tables tourneraient, quand elles parleraient, quand il y aurait là quelque phénomène singulier resté jusqu’ici sans explication, cela donnera-t-il un grain de bon sens à l’humanité ? Cela lui procurera-t-il une force, une lumière, une vertu ? Quant au côté surnaturel qu’on se plaît déjà à rechercher dans de semblables phénomènes, laissez donc ! Si Dieu veut frapper le monde par ses miracles, il les accomplira sans votre fluide, et il ne commencera pas par prendre pour complice le ridicule.

Voici cependant qui ne laisse point d’être embarrassant, et qui dénote la singulière aptitude des tables à représenter tous les rôles ! C’est le démon, à n’en point douter, qui a parlé, sous la forme d’une table, à M. le curé d’Herblay ; mais il se trouve, d’un autre côté, que c’est Dieu qui est apparu sous la même forme à un ancien représentant socialiste, à M. Victor Hennequin, pour lui dicter tout un livre : Sauvons le genre humain ! Quand nous disons Dieu, il est bien entendu que c’est un pseudonyme sous lequel certaines écoles désignent ce qui est pour elles l’âme universelle, l’âme de la terre. Or qu’ont inspiré les tables parlantes à M. Hennequin ? Elles lui ont dit d’abord de sauver le genre humain, selon l’habitude. Qui ne sauve point le genre humain aujourd’hui ? qui n’a point sa recette philosophique, mystagogique, démocratique ? C’est pour cela sans doute que le genre humain est en si bonne voie ! Mais quel est le moyen de salut de M. Hennequin ? C’est ici véritablement que les tables parlantes nous semblent quelque peu manquer d’invention et de nouveauté, car enfin est-ce la peine de faire appel au mystère et au merveilleux pour livrer au monde un nouvel exposé de la doctrine fouriériste ? Rien n’y manque, pas plus la composite que la papillone ou la cabaliste. Seulement, si nous comprenons bien, l’auteur pense que Fourier s’est trop préoccupé de l’avenir, pas assez du présent et de ses préjugés. L’avenir, c’est le règne du phalanstère. Pour le moment, notre pauvre monde tient à un peu de morale : il n’a point goût à l’inceste, pas plus qu’aux bacchans et aux bacchantes, ou aux bayaders et aux bayadères. En un mot, l’auteur trouve que la papillone joue un trop grand rôle dans les idées de Fourier, et il veut faire un peu la part de la conscience et de la volonté humaine dans le système, ce qui, mêlé aux théories fonriéristes, compose un assez bizarre assemblage. Il est pourtant un fait qui pourrait n’être pas d’un heureux augure pour le salut du genre humain, tel que l’entend l’auteur du nouvel exposé fouriériste : c’est que la même voix qui avait parlé par l’organe des tables à M. Hennequin lui avait dit qu’un éditeur viendrait lui acheter son livre au prix de cent mille francs, — et cet éditeur, hélas ! homme de peu de foi, n’est pas venu ! Il pourrait y avoir au fond de ceci un sens symbolique très profond : l’auteur a pensé sans doute qu’un exposé nouveau du fouriérisme n’aurait rien de particulièrement attrayant pour le public, et il a songé à le relever