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les pays. Quel sera le sort de cette proposition ? Elle a été renvoyée aux bureaux de la chambre, et elle donnera lieu sans nul doute à des débats sérieux, qui mettront dans tout son jour la situation financière de la Hollande. L’esprit de discussion peut s’exercer avec plus de profit pour le pays dans le domaine positif que dans le domaine où se sont agitées un moment, il y a quelques mois, les passions religieuses.

La question d’Orient, qui impose de si grands devoirs à l’Europe occidentale, est pour l’Europe orientale aussi, pour le royaume de Grèce en particulier, une épreuve des plus sérieuses. Depuis la guerre de l’indépendance, il ne s’est point présenté de conjoncture plus propre à agir sur l’imagination de ce peuple hellénique, si prompt à s’émouvoir. En revanche, jamais une situation plus délicate ne s’était offerte, et cette imagination, qui, à l’époque des grandes luttes nationales, a pu être un mobile aussi précieux que puissant, n’est aujourd’hui pour la Grèce qu’un embarras et qu’un danger. Il est évident que la neutralité la plus absolue est la seule politique qui convienne aux Hellènes, et la raison en est aussi saisissante que simple : c’est qu’en profitant sans réflexion des circonstances actuelles, pour hasarder quelque tentative d’insurrection, ils courraient au suicide par deux côtés à la fois. En contrariant la politique de l’Occident, ils s’exposeraient à de redoutables ressentimens, et en secondant la pensée de la Russie, ils n’obtiendraient qu’une amitié non moins périlleuse sous ses formes caressantes. Comment, en effet, les hommes qui essaient de pousser les Grecs aux aventures peuvent-ils ignorer, seuls dans le monde entier, que ce n’est point par un désir chevaleresque de rétablir l’empire de Byzance que la Russie aspire à la conquête de Constantinople ?

Pour nier ce danger, il faut ou peu de bonne foi, ou une singulière aberration d’esprit. Nous ne voulons voir qu’un simple manque de jugement dans les publications qui se succèdent depuis quelque temps en Grèce pour engager ce pays dans la cause de l’empereur Nicolas, sous prétexte de réchauffer le patriotisme hellénique. C’est cependant là une qualification bien modérée pour caractériser les prédications aujourd’hui familières au journal d’Athènes le Siècle, et surtout les dithyrambes dont le poète Panajolis Soulzo remplit les colonnes de cet organe de l’influence russe. « Lorsque le glaive de l’orthodoxe Nicolas tombera sur le croissant de Mahomet, écriez-vous alors, nations : C’est ainsi que l’archange Michel combattait Satan au milieu des éclairs, de la foudre et des tremblemens de terre ! » Voilà le ton ordinaire de M. Soutzo, et ces paroles sont extraites d’une tirade récente intitulée : Que faut-il faire ? Ce qu’il faut faire, on le devine assez après un pareil exorde. « Vous n’avez rien à gagner, dit le Tyrtée fanariote, en demeurant simples spectateurs de la lutte ; car si l’empire ottoman évite sa dissolution, et si la paix se rétablit, vous restez les uns esclaves de la Turquie, les autres dans votre état de marasme et de misère. Si, au contraire, vous prenez les armes à l’heure opportune pour recouvrer votre liberté, l’empire turc s’écroule, les armées russes assiégeant Constantinople… voilà qu’en peu de temps il s’élève un nouvel empire, et vous devenez les uns autonomes, les autres des plus fortunés ! » Il n’y a que les poètes lyriques pour conclure avec cette ampleur et cette assurance, sans démonstration ni transition. — La guerre a lieu