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REVUE. — CHRONIQUE.

de pousser ses calculs jusqu’à 1600, comme à un futur incommensurablement éloigné. Depuis lors, trois siècles se sont écoulés. Dans la vie des nations, comme dans celle des sciences, 1800, c’est hier ; 1900, c’est demain !

Au risque de paraître trop scientifique, je dirai en deux mots que les comètes, en perdant de leur influence populaire, en ont acquis une très grande et très nouvelle dans la science positive par les questions précédemment insolubles qu’elles nous ont permis d’aborder. Déjà, avec les perturbations du mouvement de la comète de Encke, on a pesé la planète Mercure ; résultat inespéré ! Plus tard, on vérifiera le poids déjà connu de la Terre au moyen de la comète de Biéla. Celle de Faye nous dira un jour la masse de Mars. Enfin M. Séguin, qui a donné la vie et la force aux locomotives, a entrevu et fait concevoir l’espérance que les comètes traversant, au hasard toutes les régions qui entourent le soleil, nous révéleraient par les dérangemens que leur marche éprouve l’existence et la quantité de cette matière chaotique qui circule avec les planètes autour de notre astre central et qui nous fournit ces curieuses masses météoriques appelées si justement pierres tombées du ciel. Ce sont de véritables échantillons du monde primitif avant que la matière solaire se fût conglomérée en planètes et en lunes, mais non pas en comètes, lesquelles sont des étrangères fixées au milieu des planètes, et qui n’ont avec elles aucun trait de ressemblance.

Les nations, affranchies des craintes superstitieuses qu’elles concevaient à la vue des comètes, sont-elles maintenant devenues plus sages et plus éclairées ? Nous qui avons secoué le joug de l’astrologie, paraîtrons-nous aux yeux de la postérité plus exempts de préjugés que nos pères ? Leurs croyances étaient fausses, mais non ridicules. J’ai bien peur, à voir l’interprétation qu’on a donnée à ce fait des tables tournantes, si curieux au point de vue de la physiologie et de la mécanique, que nos croyances ne soient jugées un jour et fausses et ridicules ! « Comment pouvait-on croire aux comètes ? me disait un homme de la classe très éclairée de la société. En vérité je serais tenté de donner un démenti à l’histoire ! Adieu, on m’attend à une admirable soirée de tables intelligentes. Oh ! ce sont de vrais prodiges que ceux-là ! » Que dire à de pareilles convictions ? Attendre que la fièvre se calme, que la frénésie s’en aille et que la raison malade entre en convalescence.

Si l’homme, pris en masse, est et sera toujours le même, avide de merveilleux et surtout d’émotions, il importe d’opposer à ces épidémies de crédulité passionnée l’influence d’un nombre considérable de têtes calmes et pensantes qui résistent à l’entraînement universel et veillent à l’honneur du bon sens public. C’est là une des importantes missions de la presse quotidienne, et dans la dernière éclipse de la raison (je dirais presque totale), la presse quotidienne n’a-t-elle rien eu à se reprocher ? Les croyances astrologiques de nos aïeux nous font aujourd’hui sourire de pitié ! Et cependant n’était-il pas plus noble de rattacher les destins des nations aux influences célestes des planètes et des comètes que d’aller demander des oracles à un meuble des plus communs, à un objet d’équipement, à un ustensile de cuisine ? C’est rivaliser de fétichisme avec les races les plus dégradées de l’espèce humaine.

BABINET, de l’Institut.