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enfin la cour flotter entre le catholicisme et l’anglicanisme, l’épiscopat et les universités exagérer à l’envi la prérogative royale, ils n’apercevaient plus dans la religion constituée que ce que Tacite appelle instrumentum regni. Elle leur devenait suspecte ou odieuse, comme la sainte complice de l’absolutisme. De là ils tiraient au moins cette conclusion, que le sentiment chrétien libre et désintéressé était seul respectable et sacré comme un droit de la conscience ; mais, ne pouvant l’attribuer exclusivement à aucun symbole particulier, ils arrivaient à une large indifférence entre toutes les interprétations de l’Évangile. Ils professaient un christianisme fondé sur la raison, et de là déviaient aisément jusqu’à une croyance peu définie que leurs adversaires appelaient arianisme. Sur cette pente, il est fort difficile de fixer des points d’arrêt. Les esprits qui ont une fois proclamé leur émancipation conçoivent aisément, dans le secret de leurs pensées, cet idéal de la foi philosophique auquel aspire la raison qui veut, comme dit Platon, se conformer à Dieu. Respectons le mystère des consciences ; mais hâtons-nous d’ajouter que la liberté chrétienne, que le christianisme de la raison eut aussi son philosophe, et celui-là, c’est le philosophe de la révolution de 1688 : il se nommait Jean Locke.

Lord Shaftesbury l’avait précédé. On a dit que lord Somers était de ceux qui, de ce christianisme rationnel et libéral, avaient passé au pur théisme. On l’a dit, mais qui le sait ? Le même soupçon atteignit aussi lord Cowper. N’oublions pas que les whigs étaient en lutte politique avec la haute église, et que la tentation était bien forte pour leurs ennemis de les dénoncer aux préjugés de la dévotion populaire. Lord Wharton, par exemple, n’avait pas besoin d’être calomnié. Incrédule de la même manière que les courtisans de Charles II, tolérant à la façon des amis de Guillaume III, il avait les mœurs des nus et les principes des autres, et son rare esprit touchait au cynisme par abus de sa force et de sa liberté. D’ailleurs dans le parti de la cour on comptait plus d’un Wharton. Lord Shrewsbury s’en rapprochait, quoiqu’il conservât plus de mesure et de goût, et que ses faiblesses élégantes ne pussent se confondre avec des vices audacieux. Un des champions les plus chéris de l’église, le duc de Buckingham, passait pour ne la défendre qu’à titre de machine gouvernementale : Bolingbroke enfin, Bolingbroke, dégoûté dès sa jeunesse des rigueurs du puritanisme, débauché avec éclat, incrédule avec fierté, n’avait embrassé la religion de l’état qu’en homme d’état, et devait finir par haïr ou mépriser la foi sous toutes ses formes : presbytérienne, parce qu’elle était fervente et démocratique ; épiscopale, parce qu’elle n’avait pas su lui prêter un pouvoir durable ; chrétienne, parce qu’elle contrariait sa raison, son orgueil et ses passions.