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l’église romaine sont venues jusqu’à ce jour se briser inutilement. Mais si l’on voit la communion orientale s’appuyer par instans sur celle de Russie pour mieux résister aux projets de conquête que l’on suppose gratuitement au catholicisme, s’ensuit-il que les églises de Turquie entretiennent pour l’église russe ces dispositions confiantes et dévouées que l’on est souvent porté à leur attribuer ? Nous ne le pensons pas ; la forme synodale de l’autorité ecclésiastique en Russie, la soumission absolue de cette autorité au pouvoir laïque, n’ont rien qui soit capable de séduire les patriarches d’Orient, et les doctrines mêmes de ces patriarches sur des points importons, tels que le baptême, ne sont point toujours en conformité parfaite avec celles du synode de Saint-Pétersbourg. Il est au reste des causes de désaccord plus puissantes que ces dissidences : ce sont les sentimens d’indépendance qui sont communs à toutes les églises grecques de l’empire ottoman, et qui, loin de les porter à rechercher dans une fusion avec l’église russe l’unité qui leur manque, les poussent au contraire à se subdiviser de plus en plus et à prendre chaque jour davantage ce caractère d’églises nationales qui est leur caractère essentiel : mouvement qui correspond d’ailleurs à celui que chacune des races chrétiennes de ces contrées accomplit politiquement sur elle-même. Avant de nous demander quelles sont les tendances politiques des églises de Turquie, il est toutefois une question à résoudre : c’est de savoir en quoi ces églises, malheureusement séparées de la nôtre, peuvent s’en éloigner ou s’en rapprocher, quelles croyances font l’objet du désaccord, quel est en un mot le caractère de la résistance inflexible que les Grecs opposent depuis des siècles aux efforts répétés et toujours infructueux de la propagande romaine. Les passions humaines occupent une grande place dans l’histoire de la séparation des deux églises d’Orient et d’Occident. Ici cependant les dispositions individuelles de quelques personnages éminens ne suffisent pas à expliquer les mouvemens des peuples. L’ambition de Phootius et celle de Michel Cérulaire n’auraient point eu le pouvoir de déchirer si profondément le monde chrétien, si des germes de division plus actifs que la volonté même de ces deux chefs de l’église de Constantinople n’avaient sommeillé antérieurement dans le cœur des populations. Ces germes de division, il n’est pas besoin d’aller les chercher dans les mystères de l’histoire ; on les trouvera dans la puissance de l’esprit de race propre de toute antiquité aux nations de l’Europe orientale, et dont depuis quelques années la vitalité n’est plus douteuse. C’est le fait essentiel dont il est nécessaire de se pénétrer avant d’aborder l’étude de l’église d’Orient, car il explique à la fois ses dogmes théologiques, ses croyances populaires, sa hiérarchie, et contient peut-être le secret de ses destinées politiques.