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hantées par le demi-dieu de ces contrées, le conquérant de la Dacie, Trajan[1].

Chez les Serbes, qui n’ont point eu la même mythologie que les Moldo-Valaques, les dieux païens ne jouent point le même rôle. Néanmoins l’influence du paganisme est frappante dans la manière dont le peuple serbe envisage l’action des saints. Ainsi que l’a judicieusement remarqué M. Mickiewicz, on dirait que les poètes serbes, si élevés dans les sujets historiques et dans l’épopée, se sont attachés à rétrécir les idées religieuses en les rendant palpables et sensibles. Une de leurs légendes les plus populaires nous décrit un débat qui s’élève au ciel entre les saints, et qui a toute l’apparence d’une altercation entre les dieux de l’Olympe. La ressemblance est d’autant plus frappante, que saint Elie, la Vierge et saint Pantaléon, qui sont les héros de cette légende, sont investis de fonctions essentiellement mythologiques. En Serbie, le premier de ces bienheureux est généralement considéré comme le dieu qui porte le tonnerre. La Vierge dispose des éclairs et saint Pantaléon des nuages. Une discussion s’est donc engagée entre les habitans du ciel. « O Seigneur, s’écrie le poète, quel miracle étrange ! Est-ce un tremblement de terre ? est-ce la mer en grondant qui envahit le rivage ? Non, il ne tonne pas, la terre ne tremble pas, ce n’est pas la mer qui gronde ; mais ce sont les saints qui dans le ciel se disputent les bénédictions : saint Pierre, saint Paul, saint Nicolas, saint Jean, saint Elie, et avec eux saint Pantaléon. » La Vierge s’approche avec larmes de son frère Elie, maître du tonnerre, et lui raconte qu’elle arrive des Indes, où règne une grande corruption, « car les jeunes gens n’y respectent plus les vieillards, les enfans n’obéissent plus à leurs païens, les amis se citent mutuellement en justice, et les frères se défient en duel. » Elie, armé du tonnerre, répond qu’aussitôt que les saints vont s’être entendus pour partager les bénédictions, ils prieront le Seigneur de leur remettre les clefs du firmament. Ils fermeront les sept cieux et mettront les scellés sur les nuages, afin qu’il ne tombe aucune goutte de pluie ni de rosée, et qu’il n’y ait pas la nuit de clair de lune durant trois années entières. Quand les saints se sont partagé les bénédictions, qu’Elie, la Vierge et saint Pantaléon sont pourvus, que Pierre a pris le vin, le froment et les clefs du ciel, que Jean a choisi la fraternité et l’hospitalité, ils demandent les clefs des sept cieux, qu’ils ferment l’un après l’autre, et mettent leur cachet

  1. Les contes vainques du banat de Temesvar et de la Transylvanie ont été recueillis, il y a quelques aimées, par deux Allemands, MM. Arthur et Albert Schott, sous le titre de Valachische Märchen.