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de voir dans les chefs religieux les chefs civils des diverses sociétés chrétiennes qui se présentaient à ses yeux sur le sol conquis. À cet égard, l’église grecque obtint même un privilège exorbitant qu’elle n’a perdu qu’en 1830 : ses divers patriarches eurent la juridiction civile sur la plupart des petites communautés catholiques dispersées et comme perdues dans les vastes provinces de l’empire. Les uniates et les Latins n’avaient point, comme les Grecs, d’existence légale. La Porte ne les connaissait point. Dans tous les actes de leur vie civile, ils relevaient des patriarcats de la communion orientale, et n’avaient point d’autres intermédiaires officiels dans leurs rapports avec l’autorité supérieure ottomane. C’est depuis 1830 seulement que cette anomalie a cessé, et que les catholiques, sauf ceux d’ Albanie, de Bosnie et de l’Archipel, dotés primitivement d’une organisation à part, ont été placés sous la juridiction du patriarcat arménien de Constantinople. À cette occasion même, on a vu se produire un fait qui, mieux encore peut-être que la subdivision des patriarcats de la communion orientale, montre combien est puissant chez les peuples de ces contrées le penchant à la décentralisation et à une sorte d’individualisme de race. Bien que le maintien d’une étroite unité fût dans l’esprit du catholicisme et dans l’intérêt évident des catholiques nouvellement constitués, une lutte sourde s’engagea sur-le-champ entre eux, en vue de substituer à cette unité la création d’un patriarche pour chaque race, et dès maintenant il existe en Turquie à peu près autant d’églises catholiques que de peuples attachés à cette communion. Sur ce terrain de l’Orient, l’esprit de nationalité l’emporte chez les Latins comme chez les Grecs.

Le trait frappant de la situation présente de la communion orientale, c’est l’accélération de ce mouvement traditionnel. On connaît les rapports actuels de l’église moldo-valaque et de l’église serbe avec celle de Constantinople. Après de longues vicissitudes où l’on a vu ces deux peuples consacrer une activité égale pour s’affranchir du gouvernement direct de la Porte et de la suprématie du patriarcat de Constantinople, ils se trouvent placés vis-à-vis de l’un et de l’autre dans une sorte de vassalité féodale qui n’a plus pour eux rien d’oppressif, et qui leur laisse une pleine liberté administrative. Ils ont des prêtres de leur race, parlant leur langue ; ils ne sont plus livrés en fiefs à des métropolitains venus du Phanar. C’est le pays qui nomme son chef religieux, et le patriarche grec n’intervient que pour ratifier la volonté nationale en donnant son investiture. Cette situation équivaut presque à une indépendance religieuse complète. Elle n’est pas cependant considérée, dans les principautés du Danube, comme suffisante et définitive. De là les applaudissemens que les Serbes de Turquie ont donnés en 1848à l’érection d’un patriarcat