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russe, est, on le sait, la résidence du katholicos ou patriarche suprême des Arméniens. Ainsi la capitale religieuse de leur église appartient au territoire russe. Ce siège est occupé aujourd’hui par un prélat éminent, Nersès, dont le rôle a été considérable dans les événemens qui ont mis une portion importante du sol arménien aux mains de la Russie. Semblable en plus d’un point au vénérable Rajatchitch, le patriarche de Carlovitz, Nersès s’est élevé, comme lui, à la faveur d’un mouvement national. C’était à l’époque où les chrétiens d’Orient attendaient encore sincèrement leur émancipation de la Russie, et fondaient toutes leurs espérances sur une loi profonde en son désintéressement. Nersès s’était donc associé avec une entière confiance à la guerre faite par la Russie à la Perse, et à l’exemple des prêtres des anciens temps, il y avait pris une part active. Après cette guerre, dans laquelle il avait rendu d’eminens services au gouvernement russe, ayant cru pouvoir parler de garanties en faveur de l’église arménienne, il fut exilé sous prétexte d’une mission épiscopale dans la province de Bessarabie. On lui demandait de s’employer à la fusion de l’église arménienne dans l’église russe, et son exil eût cessé plus promptement, s’il eût consenti à se soumettre au synode de Saint-Pétersbourg. Ramené par la force des choses en Arménie et promu de même au patriarcat, il a toujours refusé de souscrire à une condition qu’il croyait contraire aux intérêts politiques de son troupeau, et il est allé jusqu’à menacer de transférer en Turquie le siège du patriarcat suprême des Arméniens, si les obsessions auxquelles il avait été en butte venaient à se renouveler. Ajoutons que cette attitude ne lui a point été inspirée par le désir puéril de maintenir les légères dissidences dogmatiques qui peuvent séparer son église de celle de Saint-Pétersbourg, mais par la pensée de sauvegarder le dernier rempart de la nationalité arménienne.

Les sentimens des Arméniens à l’égard de la Russie sont aussi ceux des chrétiens de la communion grecque, et l’attitude réservée que ceux-ci ont prise dans leurs rapports avec cette puissance depuis une mission célèbre en est un témoignage. Ils craignent d’être protégés, de peur d’être dominés, sachant bien que sous cette domination toute individualité disparaîtrait pour eux.

Les chrétiens de l’empire ottoman suivent par instans, en politique aussi bien qu’en religion, une ligne de conduite de nature à donner le change à ceux qui s’en rapporteraient aux apparences. Dans la condition où les événemens les ont placés, plus d’une fois ils ont senti ce besoin d’un appui du dehors, et c’est celui de la Russie qui, depuis un siècle, s’est le plus souvent offert. L’on ne saurait d’ailleurs méconnaître que les rapports de religion et même,