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en amitié une grande douceur de façons et de paroles ; jamais de hauteur ni de dureté. L’amitié doit toujours avoir une familiarité aimable et douce ; rien de tendu ni de sévère ; il faut qu’elle soit facile et avenante. » C’est cette douceur et cette facilité qui manquaient à Diderot. Il ne manquait pas au fond de bonté, il manquait de bonhomie. Le funeste penchant qu’il avait à mettre en scènes de théâtre et de roman tous les incidens de la vie ordinaire gâtait ses bonnes qualités. Il était tracassier afin d’être dramatique.

Cependant, grâce à l’intervention de Mme d’Épinay, la querelle de Rousseau et de Diderot s’était apaisée. Rousseau avait été à Paris voir Diderot ; Diderot était venu à l’Ermitage. « Vous aviez bien raison de vouloir que je visse Diderot, écrit Rousseau à Mme d’Épinay, il a passé hier la journée ici. Il y a longtemps que je n’en ai passé d’aussi délicieuse. Il n’y a point de dépit qui tienne contre la présence d’un ami. » Mais il n’y a pas de réconciliation non plus qui ne laisse de trace, et bientôt survint une nouvelle querelle qui fut une rupture ; Cette fois la rupture ne fut pas seulement avec Diderot, elle fut avec tous les anciens amis de Rousseau, avec Mme d’Épinay, avec Grimm, avec Diderot, avec tout le parti philosophique.


II

Quelles étaient les dispositions d’esprit de Rousseau au moment de cette seconde querelle ? L’hiver de 1756-57, cet hiver que Rousseau avait voulu passer à l’Ermitage en dépit de ses amis et de ses gouverneuses, était fini. Rousseau était réconcilié avec Diderot. Mme d’Houdetot était venue s’établir à Eaubonne, et la passion que Rousseau avait prise pour elle avait rempli son été ; mais cette passion avait été malheureuse : Saint-Lambert était revenu, et, pour marquer son mécontentement à Rousseau, dormait impertinemment aux lectures que lui faisait celui-ci[1]. Mme d’Houdetot était froide et sérieuse, C’était dans l’âme de Rousseau une première cause de dépit et d’amertume. Mme d’Épinay, quoiqu’elle eût pardonné à Rousseau l’indigne soupçon qu’il avait eu contre elle, d’avoir écrit une lettre anonyme à Saint-Lambert pour l’avertir de l’amour de Rousseau pour Mme d’Houdetot, Mme d’Épinay n’avait plus pour lui qu’une sorte de compassion sans affection, et Rousseau, qui se souvenait de l’avoir offensée, se sentait embarrassé avec elle. Enfin Grimm, qui avait suivi le maréchal d’Estrées en Allemagne comme secrétaire pendant la campagne de 1757, Grimm était revenu et régnait à La Chevrette, chez Mme d’Épinay.

  1. Confessions, livre IX.