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d’une grande partie de l’Hindoustan avait passé, d’une dynastie de conquérans à l’autre, jusqu’à Bâbăr, cinquième descendant de Teimour, qui, envahissant ce malheureux pays pour la cinquième fois en 1525, détrôna la dynastie pathane ou afghane en la personne de soultan Ibrahim, défit en 1527 la confédération hindoue dont radja Sanga était le chef, et réussit enfin à se faire reconnaître souverain de la majeure partie de l’Inde centrale. Bâbăr lui-même, dans ses admirables mémoires, remarque que l’Inde avait été conquise deux fois avant lui par des princes musulmans, les Ghazhevides et les Ghôrides, mais à des époques où l’Inde était divisée en un grand nombre de petits états et avec des armées considérables, tandis qu’il avait à peine quinze mille hommes quand il envahit l’Hindoustan pour la première fois, et douze mille seulement quand il gagna la décisive bataille de Panipăt, en 1525. Il était déjà maître du Păndjâb, et depuis vingt-deux ans de Kaboul ; son autorité s’étendait dans le nord jusqu’à Balkh, quand il mourut à quarante-neuf ans, en 1530, laissant le tronc à son fils aîné, Houmâhoûn.

Bâbăr, homme de grand cœur, aux proportions héroïques, poète et guerrier, aussi généreux que brave, aussi habile qu’entreprenant, ne fut cependant que le plus admirable des aventuriers. Il avait conquis l’Hindoustan, mais le temps et le génie lui avaient manqué pour affermir sa domination. D’ailleurs, quoique plus éclairé et plus humain que les premiers conquérans musulmans, il n’avait pas cet esprit de tolérance religieuse sans lequel une domination étrangère ne pouvait se faire accepter d’une manière durable. Aussi, dans l’appréciation des actes du souverain et du caractère de l’homme, faut-il soigneusement tenir compte du milieu dans lequel se mouvait cette intelligence d’élite ; il faut avoir égard aux mœurs, aux habitudes, aux préjugés des deux races dont le choc ébranlait le monde asiatique il faut se représenter l’Inde comme désorganisée, non-seulement par la conquête, mais par les luttes sanglantes et continuelles des descendans des premiers envahisseurs, Tourks, Moghols, Afghans.

Au milieu de ces convulsions incessantes, deux systèmes sociaux se trouvaient chaque jour en présence : deux grandes croyances luttaient sans cesse, l’une pour se maintenir, l’autre pour s’imposer par la violence. Le chef-d’œuvre d’un bon gouvernement dans un semblable pays eût été manifestement de réunir et de consolider sous une administration sage, ferme et bienveillante, ces deux élémens en apparence antipathiques, de manière à en former une unité politique et sociale qui eût des chances de durée, Bâbăr n’y songea probablement jamais ; il voyait avant tout, dans le triomphe de ses armes, le triomphe de l’islamisme. Houmâyoûn, le fils de Bâbăr, n’était pas de force à entreprendre la réalisation d’une conception aussi hardie ;