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sa déchéance, et que l’un des principaux omrâhs fut député vers lui pour lui promettre d’appuyer ses prétentions, pourvu qu’il s’engageât solennellement de garder la loi de Mahomet, et de ne faire aucun mal ni déplaisir à son fils, ni à ceux qui auraient prétendu l’élever à l’empire. Sélim, ayant accepté ces conditions, se rendit auprès de son père agonisant. Akbar avait déjà perdu la parole, mais il eut encore assez de force et de présence d’esprit pour indiquer que l’on plaçât sur la tête de son fils son turban impérial, et faisant détacher son épée, qui était au chevet du lit, il ordonna par signes à son fils de la ceindre en présence des omrâhs. Cette investiture terminée, la prince se prosterna devant l’empereur, qui lui fit signe de la main qu’il pouvait se retirer, ce que fit Sélhn, qui s’en retourna à son logis, suivi de grandes acclamations. Cependant Akhar demeura là, agonisant, entouré de ses plus fidèles serviteurs, qui s’efforcèrent de lui rappeler qu’il devait recommander son âme à Mahomet, ce à quoi il ne parut nullement consentir : seulement on aperçut qu’il faisait quelquefois ce qu’il pouvait pour prononcer le nom de Dieu… Son fils et successeur se trouva présent lorsqu’il rendit l’âme[1]. Son corps fut porté dans une bière, sur les épaules du nouvel empereur et de ses fils, jusques en dehors des portes du fort, dont on abattit un pan de muraille à cet effet, selon l’usage. »

Du fort d’Agra à Sikandra, lieu désigné par Akbar lui-même pour sa sépulture, le cercueil fut porté par les fils de Sélim et les grands de l’empire alternativement. Huit jours après[2], le 22 octobre, au lever du soleil, Sélim prit solennellement possession de l’empire, sous les titres de Abou’l Mozaffer N’our-oud-dine Mohammed Dja-hân-Guîr (père de la victoire, lumière de la religion, Mohammed, conquérant du monde). Ce conquérant du monde se laissa gouverner despotiquement par une femme[3], et subit la loi d’un de ses généraux[4], dépendant l’impulsion puissante donnée par le génie d’Akbar survécut à ce grand homme, et put encore entraîner vers

  1. Les Mémoires de Djahln-Guîr contiennent un récit détaillé, mais évidemment inexact des derniers momens d’Akbar. Les recommandations que Djahân-Guîr place dans la bouche de son père mourant sont cependant touchantes et en harmonie avec la bonté et l’élévation d’âme, qui distinguent éminemment ce grand caractère.
  2. Il est difficile de concilier entre elles les dates fournies par l’autobiographie, ou de les mettre d’accord avec celles qu’ont adoptées les divers historiens ; mais il nous parait probable que Djahân-Guîr date son avènement du jour ou son père l’investit du pouvoir en présence des omrâhs, c’est-à-dire du 10 au 12 octobre 1605. il prit possession solennelle du trône impérial le 22 du même mois.
  3. Nour Mahal (lumière du palais), depuis Nour Jahan Bégam (princesse lumière du monde).
  4. Mohabet-Khân. — S’il faut en croire Tod, Mohamet-Khân aurait été l’un des fils du radja Sagra, prince du Méwar, et converti au mahométisme. Les historiens musulmans et l’auteur du Dabistân assurent néanmoins, ainsi que les Mémoires de Djahan-Guîr, que ce grand général et ce politique consommé était fils de Ghôr-Bég, natif de Kaboul. C’est un point qu’il serait curieux d’éclaircir. Tod s’appuie du témoignage des Radjpouts dont Mohabet était certainement l’idole. [Voir Annals of Rajast’hân, vol. Ier, p. 331 et 355.)