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des îles où ils avaient fixé leur retraite, ils aperçurent, à la tombée du jour, une terre inconnue vers laquelle ils cinglèrent dans l’intention d’y passer la nuit. Ils ne tardèrent point à prendre pied, et, après un frugal repas, ils se livrèrent aux douceurs du sommeil. Brendan seul, pasteur vigilant de la bergerie du Seigneur, ne donnait pas, et, tout en priant, il observait le cours des astres, quand tout à coup, au milieu du silence de la nuit, il sentit que l’île s’était mise en marche. Au point du jour, il assembla ses compagnons et leur dit : « Frères, rendons grâces au Créateur qui nous a préparé au milieu des mers un vaisseau qui n’a besoin ni de nos rames ni de nos voiles. » Ces paroles jetèrent l’étonnement dans leur âme, et ils reconnurent avec admiration qu’ils naviguaient sur le dos d’une énorme baleine. Ils ne perdirent point courage et attendirent quelque hasard heureux. Pendant plusieurs jours ils furent ainsi emportés à travers l’immensité, en avançant vers le soleil levant. Enfin ils arrivèrent à une île beaucoup plus belle que toutes celles qu’ils avaient vues jusqu’alors. Elle était habitée par des moines dont la vie était plus sainte que celle des autres moines, et peuplée d’oiseaux au plumage éclatant qui chantaient des cantiques. De retour en Irlande, saint Brendan fit part de sa découverte, et depuis lors ce monde merveilleux fut, comme les îles Fortunées, l’objet de nombreuses recherches. La tradition légendaire s’était imposée avec une autorité si grande, que, dans le XVIIIe siècle encore, on équipa en Irlande un vaisseau pour aller à la recherche de l’île merveilleuse ; mais Dieu l’avait cachée si loin dans les brumes de l’Océan, qu’on ne la vit jamais reparaître à l’horizon, et le navire sans voiles et sans rames fut le seul qui toucha ses rivages.

Au milieu de ces récits, les notions positives recueillies par Aristote ont complètement disparu, et par un contraste singulier, tandis que les idées chrétiennes font invasion dans la zoologie, on voit en même temps le paganisme se perpétuer par une de ses superstitions les plus folles. Ce moyen âge, qu’ont ébloui les rayons du mysticisme, suit encore l’antiquité dans le labyrinthe de ses fables impies, et garde aux animaux leur caractère de prophètes et d’oracles. La science des augures persiste pendant de longs siècles en dépit des anathèmes de l’église, qui seule, dans la barbarie des vieux temps, défend la cause de la raison et de la dignité humaine. Suivant une tradition très accréditée, la science augurale fut fondée par Adam, qui savait les secrets du langage des hôtes, et perfectionnée par Noé, qui ne laissa sortir le corbeau et la colombe de l’arche qu’après s’être orienté d’après les principes de l’ornithomancie ; elle passa de Noé à Cham, de Cham à Tagès et à Salomon, et se propagea dans le monde entier avec la double autorité d’une croyance religieuse et scientifique.