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à travers les sables du désert, il veut seulement accomplir un pèlerinage dans la terre des heureux ; mais au moment même où il approche de cette terre divine, toujours interdite aux hommes, même aux plus grands, des oiseaux à figure humaine voltigent au-dessus de sa tête en criant : « Alexandre, il ne t’est pas permis d’aller plus loin ; » malgré cette défense, il marche toujours, et a chaque pas il est assailli par des monstres. Des porcs sauvages gros comme des éléphans, des géans de vingt-quatre coudées avec des mains d’acier dentelées comme des scies, des puces avec des cornes, des grenouilles ailées, jettent le désordre dans les rangs de ses soldats ; ses barons les plus braves sont emportés par des crabes, et ce n’est pas trop de tout son courage et de tout son génie pour échapper aux bêtes formidables qui viennent le combattre tour à tour.

Nous n’insisterons pas plus longtemps sur ces détails, qu’il serait facile de multiplier à l’infini, tant ils sont nombreux et surabondans. Les mêmes données se reproduisent sans cesse, les écrivains ne font que se copier les uns les autres. Il suffisait de rassembler ici les faits les plus saillans pour montrer quel était l’état de la science traditionnelle, et comment la nature était étudiée et comprise avant le XVIe siècle. Eclairé par les lumières d’une religion divine, le moyen âge n’avilit plus ses hommages en décernant l’apothéose aux animaux ; mais il leur donne encore, en fait d’intelligence et de qualités extraordinaires, une part assez large pour qu’ils tiennent une place importante dans la littérature, dans la poésie et dans les arts, expression fidèle de ses croyances et de ses erreurs. Pour les imaginations éprises du merveilleux, il y avait là un élément fécond, et pour ainsi dire inépuisable. Le miracle permanent de la création s’offrait avec toutes ses splendeurs à des générations qui n’avaient point encore appris à douter. Une idée nouvelle et puissante planait au-dessus de toutes les fables antiques, au-dessus de tous les mensonges de la science ; et cette idée, c’était celle de l’enseignement moral et religieux. Il nous reste à voir comment elle se manifeste dans cette vaste épopée, tour à tour chrétienne et profane, mystique et chevaleresque, satirique et morale, qui forme comme la contre-partie des mystères, et dont nous avons dû passer en revue les acteurs avant de pénétrer dans l’action même.


CHARLES LOUANDRE.