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du siècle sous l’influence de Voltaire et de Gibbon, la société vaudoise est revenue de nos jours à la foi vive et militante. — Nos pères s’étaient réduits à la prose, nous sommes retournés à la poésie, — me disait une spirituelle convertie de Lausanne. À peu près générale dans les classes que distinguent la culture et le loisir, la renaissance religieuse s’est moins développée cependant parmi les rudes laboureurs de la côte ou des plaines. Chez eux se retrouvent encore les inclinations sceptiques. On dirait qu’à mesure que la croyance s’exalte là-bas, ici l’esprit raisonneur se fortifie : redoutable contradiction qui explique bien des choses dans l’histoire de ces dernières années, et dont on pourrait craindre les conséquences, si la cordialité traditionnelle des mœurs vaudoises n’adoucissait tous les chocs, et si les plus grossiers n’éprouvaient l’influence de cette merveilleuse nature qui distrait l’homme malgré lui de ses amertumes ou de ses violences, et rassérène l’âme par les joies du regard !

Jamais cette splendide nature qui fait l’orgueil du bassin lémanique ne s’était montrée plus séduisante qu’au jour et à l’heure où commence notre récit. La nuit se préparait à descendre ; les montagnes qui encadrent les eaux s’assombrissaient de plus en plus, et la Dent du Midi faisait étinceler ses pics neigeux aux dernières lueurs du soleil couchant. Le lac, déjà plongé dans l’ombre vers Villeneuve, s’illuminait du côté de Genève, et quelques barques, étendant à la brise leurs doubles voiles latines, sillonnaient de loin en loin son azur empourpré, comme de grands cygnes attardés qui se hâtaient de regagner leurs nids.

Sur une des routes penchantes et rocailleuses qui serpentent le long des vignobles au-dessus de Cully, une jeune fille d’environ dix-huit ans s’avançait de ce pas souple et égal qui révèle une vigueur exercée. Rien que sa chaussure couverte de poussière annonçât une longue marche, et qu’elle tînt sous le bras un paquet que l’on pouvait croire pesants elle ne semblait éprouver aucune fatigue. Son costume la faisait connaître pour étrangère. Au lieu du vêtement sombre et étriqué des paysannes vaudoises, elle portait l’éclatant corsage de Berne, rehaussé par les agrafes et les chaînes argentées. Sa courte jupe laissait voir des jambes dont la forme robuste n’était point dépourvue d’élégance, et de son large chapeau de paille s’échappaient de longues tresses blondes terminées par une touffe de rubans. En y regardant de près, on eût remarqué plus d’un détail témoignant d’une pauvreté qui se respecte et n’a point voulu s’abandonner elle-même : l’étoffe du corset avait perdu sa première fraîcheur, le jupon de drap laissait voir la trame en plusieurs endroits, et le linge de la gorgerette dont le voyage avait à peine altéré la blancheur, était d’un tissu grossier ; mais si l’ensemble du costume