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— Merci, Losi ; que Dieu vous récompense de votre amitié ! répliqua la jeune fille. Mais vous ne connaissez pas l’oncle Jacques : s’il vous rencontrait ici dans ce moment, je craindrais quelque violence.

— Il faudra voir, répondit Aloïsius, dont l’œil s’alluma ; je n’ai l’habitude de céder ni aux brutalités ni aux menaces.

— Vous céderez à ma prière : au nom de tout ce que vous aimez, retournez au village.

— Eh bien ! soit, dit vivement le jeune homme ; mais alors descendez-y avec moi.

— Y pensez-vous, Losi ? Je ne puis quitter les Morneux sans l’ordre de ma mère.

— Aussi je vous l’apporte, reprit-il en cherchant une lettre dans son portefeuille ; tout est convenu avec elle ; je dois vous ramener à Gerzensée.

— Mais la dette à l’oncle Jacques…

— Sera payée.

— Est-ce possible ?

— Lisez, lisez vous-même. — Et il remit un billet à Marthe. — De toute manière vous devez quitter les Morneux. Pourquoi ne point partir sur-le-champ ?

La jeune fille parut hésiter.

— Partir ! répéta-t-elle ; à cette heure…, sans avertissement…, c’est impossible.

— Alors laissez-moi tout expliquer à l’oncle Jacques.

— Pas ce soir, Losi, pas ce soir, reprit-elle en prêtant l’oreille ; dans les dispositions où il se trouve, vous ne pourriez vous entendre, et il arriverait quelque malheur… Plus tard je vous expliquerai… Vous comprendrez tout.

— Ce que je comprends, dit le jeune régent avec amertume, c’est que vous avez plus de souci du mécontentement de votre parrain que de ma peine.

— Ah ! ne le croyez pas, Losi !

— Je crois ce que je vois, Martha. Vous voulez que j’aie fait cette longue route seulement pour vous entendre me dire : — Partez !

— Mon Dieu ! mon Dieu ! il le faut ! dit-elle. Au nom de votre tendresse pour moi, Losi, ne me jugez pas… ; attendez que je puisse tout vous dire. Je n’ai jamais rien exigé de vous ; aujourd’hui, croyez-moi, faites ce que je vous demande à mains jointes : ne restez pas plus longtemps aux Morneux…, retournez jusqu’à demain à Cully.

— A la bonne heure ! répondit le jeune homme désespéré ; puisque vous refusez de me recevoir et de me suivre, je repars : mais ne vous étonnez pas si vous ne me retrouvez pas demain où vous m’envoyez,