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affaires étrangères. L’ambassadeur russe parut croire un instant que le ministère remanié lui serait plus favorable. Il voulut avoir l’air de faire une concession en donnant à l’engagement qu’il exigeait de la Turquie la forme d’une note qui lui serait adressée par la Porte ; mais le nouveau ministère refusa, comme l’ancien, d’aliéner l’indépendance de l’empire ottoman. Dans un conseil composé de ministres et de hauts fonctionnaires, les dernières propositions de la Russie furent rejetées à la majorité de 42 voix contre 3. Le prince Menchikof partit le 21 mai. Le comte de Nesselrode adressa le 31 mai l’ultimatum de la Russie à Rechid-Pacha. Le 3 juillet, les Russes passaient le Pruth et occupaient les principautés danubiennes.

Il est maintenant superflu de discuter l’atteinte portée par les prétentions de la Russie à l’indépendance et à la souveraineté du sultan. L’opinion de l’Europe est unanime sur ce point. Lorsque la Russie disait qu’elle ne recherchait aucun avantage politique en liant le sultan vis-à-vis d’elle par un engagement bilatéral qui lui aurait donné à chaque instant le droit de représentation et d’intervention dans toutes les affaires religieuses de 10 ou 12 millions de Grecs sujets turcs, elle avançait une de ces assertions contradictoires dont les termes mêmes réfutent brutalement le mensonge qu’elles expriment. Changer un droit inhérent à la souveraineté, le droit de dispenser librement des garanties à une communion religieuse en une obligation contractuelle vis-à-vis d’un état étranger, c’est évidemment arracher à cette souveraineté un de ses principaux pouvoirs politiques, c’est usurper sur elle l’attribution politique dont on la dépouille. Le principe est absolu, à quelque état qu’on en fasse l’application ; mais en Turquie, et par rapport aux Grecs, le fait se joint au principe pour démentir l’assertion de la Russie. Les dignitaires de l’église grecque sont en même temps des magistrats civils. En s’arrogeant la protection du clergé grec, la Russie dépassait, donc inévitablement les limites religieuses qu’elle traçait à ses prétentions. Cependant elle ne se bornait pas à demander le protectorat, elle exigeait la permanence du statu quo dans la constitution ecclésiastique des Grecs. Or il est notoire que cette constitution, en ce qui touche aux attributions civiles et temporelles qu’elle confère au clergé, est pleine d’abus dont la population laïque réclame la réforme. Si donc les prétentions de la Russie avaient acquis l’autorité d’une convention internationale, tout espoir de réforme dans l’autorité civile de L’église grecque eût été perdu. Une scandaleuse perpétuité eut été assurée à des privilèges abusifs, ou bien pour obtenir des redressemens indispensables, la population grecque de l’empire turc aurait porté ses réclamations et sa gratitude non au gouvernement du sultan, mais à l’ambassade russe. Il était donc impossible de donner