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« Je suis allé hier chez le baron Manteuffel, son excellence m’ayant fait prévenir qu’elle désirait me voir au sujet des dernières nouvelles d’Orient.

« Il a commencé par me dire que le roi avait désiré qu’il me fit savoir l’intérêt que prend sa majesté au départ du prince Menchikof de Constantinople, annoncé par le télégraphe, et à la suspension probable des relations diplomatiques entre la Russie et la Turquie. Il m’a demandé ensuite si je pouvais le renseigner sur la politique du gouvernement de sa majesté dans cette conjoncture. Je lui ai répondu que je n’avais pas d’instructions sur le tour que les affaires avaient pris, mais que je connaissais assez les opinions du gouvernement de sa majesté pour pouvoir l’assurer qu’il ne s’attendait point au sened présenté par le prince Menchikof, document dont l’objet nominal était la protection des sujets grecs de la Porte dans l’exercice de leur religion, mais qui donnerait en réalité à la Russie un droit d’intervention dans les affaires.intérieures de la Turquie incompatible avec l’indépendance de ce pays. Je communiquai alors à son excellence, et j’espère que votre seigneurie m’approuvera, votre dépêche du 16 courant à sir Hamilton Seymour. Le baron Manteuffel me remercia, et me dit que les opinions qu’elle contenait coïncidaient entièrement avec celles du gouvernement prussien, et que la connaissance de ces opinions était pour lui d’un prix inestimable, il ajouta que l’impression produite sur lui par les nouvelles reçues de Saint-Pétersbourg et d’autres endroits était la même que celle qu’annonce votre seigneurie, et qu’il paraissait que les cabinets de Londres, de Berlin et de Paris avaient tous lieu de penser qu’une fois la question des lieux-saints terminée, il ne resterait plus rien d’important à faire au prince Menchikof Conséquemment, aucune déclaration contraire ne lui étant venue de Saint-Pétersbourg, il voulait croire que le prince Menchikof avait outrepassé ses instructions et serait désavoué.

« Je répondis que ce serait la façon la plus satisfaisante de sortir de la difficulté, mais que les désaveux étaient rares dans la diplomatie russe.

« L’impression produite par les dernières nouvelles de Turquie est très défavorable au gouvernement russe. Le baron Manteuffel pense que le prince Menchikof a dépassé tout ce qu’on pouvait attendre, et que les grandes puissances doivent maintenant s’efforcer de découvrir quelque moyen de concilier le différend et de prévenir une rupture ; je crois pouvoir assurer avec certitude à votre seigneurie, que la conduite du gouvernement russe est généralement condamnée, et que l’opinion du corps diplomatique et du public est unanime ici pour désapprouver les procédés du prince Menchikof. Tout le monde, est d’accord qu’il est impossible à la Porte de signer un pareil traité sans encourir la perle de son indépendance[1]. »


L’Autriche éprouva la même surprise que la Prusse, et témoigna la même conformité de vues avec le gouvernement anglais. Lord Westmorland écrivait de Vienne à lord Clarendon, le 30 mai, que le comte de Buol envoyait des représentations au gouvernement russe sur le danger des procédés suivis par le prince Menchikof, et qu’il

  1. Corresp., part I, n° 213.