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dessinait davantage, il deviendrait peut-être nécessaire que les grandes puissances s’expliquassent avec la Russie dans le sens indique par M. le comte de Buol lui-même, c’est-à-dire qu’il fut bien entendu, pour me servir des expressions que vous m’avez rapportées, que tout devrait être traité à cinq, et qu’il n’appartiendrait ni à un ni à deuxcabinets de régler isolément ou à part des intérêts susceptibles d’affecter l’Europe entière[1]. » Cette disposition fut commune aux quatre puissances. Lord Clarendon s’en ouvrit avec l’ambassadeur d’Autriche à Londres, le comte de Colloredo. Il résumait ainsi cette conversation, qui prouve la promptitude et la sincérité des efforts pacifiques de l’Angleterre, dans une dépêche adressée à lord Westmorland :


« Je dis au comte Colloredo que nous désirions conférer franchement avec l’Autriche sur la situation alarmante des choses en Orient et l’imminent danger auquel la paix de l’Europe nous paraissait exposée.

« J’ajoutai que la politique de l’Angleterre était essentiellement pacifique, et que le gouvernement de sa majesté, loin d’entretenir aucun sentiment hostile envers la Russie, tenait compte de la difficulté où l’empereur se trouvait lui-même placé, l’attention de l’Europe ayant été appelée sur les vastes armemens militaires qu’il avait faits depuis quatre mois, sur les négociations prolongées du prince Menchikof, sur ses demandes et le rejet de ces demandes par la Porte.

« La position du tsar était donc singulièrement embarrassée. Il lui serait difficile de reculer avec honneur ou d’avancer sans mettre en danger la paix générale, que son devoir et son intérêt lui commandaient, ainsi qu’aux autres souverains de l’Europe, de maintenir ; mais il convenait à présent aux alliés de sa majesté impériale, dans le même esprit et pour les mêmes motifs qui avaient conduit aux traités de 1840 et 1841, d’employer leurs efforts et toute l’influence dont ils pouvaient disposer pour conduire cette question à une solution satisfaisante.

« Pour cet important objet, j’assurai le comte de Colloredo que le gouvernement de sa majesté, ainsi que tous les autres, était disposé à se confier à l’assistance de l’Autriche. L’amitié personnelle qui unissait les deux empereurs, les relations politiques et géographiques qui lient les deux pays, le danger connu où les entraînerait la guerre, donnaient à l’Autriche une influence de médiation que n’avait aucun autre pays, — et aussi, ajoutai-je, un plus grand intérêt à faire réussir cette médiation, car si la Russie dépassait les principautés, si d’autres provinces de la Turquie étaient envahies, la conséquence probable serait un soulèvement général de la population chrétienne, non point en faveur de la Russie ni pour soutenir le sultan, mais pour conquérir sa propre indépendance. Il est superflu de dire qu’une telle révolte ne tarderait pas à s’étendre aux provinces danubiennes de l’Autriche. C’était au gouvernement autrichien de juger de l’effet que cette insurrection pourrait produire en Hongrie et en Italie, de l’encouragement qu’elle donnerait aux

  1. Documens français, no 7.