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temps après, un consul russe, M. Mutchin, se rendait à Belgrade sans bérat du sultan, et nouait en Servie contre le gouvernement turc des intrigues qui inquiétèrent l’Autriche elle-même.

Lorsque la Russie eut rejeté la note de Vienne et que la Turquie lui déclara la guerre, M. de Nesselrode dit à sir Hamilton Seymour : « Voici notre situation en peu de mots : la guerre nous est déclarée par la Turquie ; nous ne publierons probablement pas de contre-déclaration, nous ne ferons aucune attaque contre la Turquie ; nous resterons les bras croisés, uniquement résolus à repousser toute agression faite contre nous, soit dans les principautés, soit sur notre frontière d’Asie, que nous avons renforcée. Nous passerons l’hiver ainsi, prêts à recevoir toutes les ouvertures de paix que pourra nous faire la Turquie[1]. » M. de Nesselrode confirmait quelques jours après cette assurance dans une dépêche adressée au baron de Meyendorff : « Pour ne rien faire qui puisse entraver le succès de cette dernière tentative de conciliation (un projet de la conférence de Vienne), l’empereur, nonobstant la déclaration de guerre de la Porte, compte ne rien changer à son attitude actuelle. Nos troupes auront l’ordre de rester sur la défensive, attendant l’attaque des Turcs et les repoussant s’il y a lieu[2]. » La Russie avait donc formellement promis à l’Europe de rester sur la défensive. Peut-être cette magnanime promesse n’avait-elle d’autre cause que la conviction où était le cabinet russe (« je le sais de source certaine, » écrivait sir Hamilton Seymour) que les armées turques ne pourraient pas tenir ensemble jusqu’au printemps. Quoi qu’il en soit, la France et l’Angleterre durent en prendre acte. Lorsque leurs flottes entrèrent dans les Dardanelles, elles durent veiller à ce que, dans la sphère d’action de leur marine, cette promesse ne fût point violée. Au commencement d’octobre, les deux gouvernemens envoyèrent sur ce point à leurs ambassadeurs et à leurs amiraux des instructions précises, dont la lettre suivante de lord Clarendon à lord Stratford pourra donner une idée :


« Mylord,

« Il sera nécessaire que l’amiral Dundas informe l’amiral russe commandant à Sévastopol que si la flotte russe sortait de ce port pour débarquer des troupes sur une portion quelconque du territoire turc, ou pour commettre un acte d’hostilité ouverte contre la Porte, ses ordres sont de protéger contre de pareilles attaques les états du sultan. Il exprimera l’espoir que l’amiral russe n’aura recours à aucune mesure qui pourrait mettre en danger les relations pacifiques de la Grande-Bretagne et de la Russie.

  1. Sir G. H. Seymour to the earl of Clarendon, oct. 14, 1853. Corresp., part II n° 171.
  2. Corresp., inclosure in n° 182.