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les intérêts généraux de l’Europe aussi bien que les nôtres ; mais l’empereur Nicolas a espéré tromper l’Europe, en rejetant sur nous la responsabilité de ses ambitieux calculs. Pour que la question ne parût point européenne, il a d’abord essayé de la faire française. Il est venu nous chercher à propos des lieux-saints une injuste chicane dans laquelle il a cru pouvoir envelopper et faire passer inaperçue sa colossale entreprise contre la Turquie. La France ne pouvait donc point ne pas regarder comme sienne cette querelle. Cette conduite lui a, grâce à Dieu, réussi, et, par un juste retour, les défiances que la Russie excitait contre nous se sont dirigées contre elle, et c’est contre elle que s’est formé le concert européen dont elle avait voulu nous exclure.

Dans cet heureux revirement, plus trompée d’abord que les autres puissances, l’Angleterre s’est ralliée la première à nous avec une loyauté, une énergie et un ensemble dont la France doit lui être reconnaissante[1]. Toute sa conduite dans cette affaire prouve la sincérité des efforts pacifiques de l’Europe. Les hommes d’état qui sont aujourd’hui au pouvoir en Angleterre avaient fait de la paix, depuis plusieurs années, la base de leur politique. C’est par la paix et pour la paix qu’ils tentaient et continuaient ces grandes expériences économiques qui augmentaient chaque jour l’élasticité de l’industrie anglaise et la prospérité des revenus publics. La paix, on peut le dire, était à la fois leur politique, leur carrière, leur ambition, leur gloire. Ce gouvernement avait pour chef le plus respecté des anciens amis de sir Robert Peel et le plus conciliant des diplomates européens. Jamais cabinet n’avait donc offert plus de gage de ses dispositions pacifiques. On l’a vu toujours prêt à toutes les concessions honorables et se préoccupant même de ménager autant que possible l’amour-propre de l’empereur de Russie. Il n’a pas craint de compromettre dans son pays sa popularité et son existence par la persistance de ses efforts et de ses espérances pacifiques. Quand donc un tel gouvernement s’est vu obligé d’accepter successivement toutes les mesures de précaution et de fermeté dont la France a pris l’initiative, quand un premier ministre comme lord Aberdeen et un ministre des affaires

  1. Nous avons montré, pièces en main, les tentatives faites d’abord par la Russie auprès de l’Angleterre pour empêcher l’alliance des deux puissances maritimes. Si le gouvernement français avait publié toutes les correspondances diplomatiques ; il est probable que nous y venions la contre-partie de ce jeu. Nous savons que le gouvernement russe a fait des efforts pour nous détacher de l’Angleterre. Nous pourrions citer le nom de la petite cour allemande où M. de Nesselrode avait essayé de nouer une intrigue dans ce sens, en faisant faire des ouvertures par l’envoyé russe auprès de cette cour au chargé d’affaires français.