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par la fiancée Prascovia, avec accompagnement de chœur de. femmes, — La, la, en sa demeure, — sont, à mon avis, le morceau le plus exquis et le plus original de ce premier acte, qui finit très heureusement par la prière de Catherine, jetant à la brise, avec de charmantes vocalises, les regrets de son cœur.

Le second acte est le plus important de l’ouvrage, et il prend même des proportions qu’on pourrait trouver excessives et assez peu motivées par l’action qui précède. Les soldats russes réunis dans le camp occupent leurs loisirs à chanter les prouesses de la guerre et les avantages de chaque arme. Une voix de ténor entonne la louange de la cavalerie, — Beau cavalier, au cœur d’acier, — qu’elle lance en avant sur une phrase bien accentuée avec l’accompagnement d’une brillante fanfare. La réponse du caporal Gritzenko, suite de personnage épisodique placé là par M. Scribe pour faire rire un peu le parterre par ses lazzis tudesques, — cette réponse est plus originale encore, et l’ensemble avec l’accompagnement du chœur, où l’on remarque une belle phrase confiée aux ténors sur un rhythme accéléré qui exprime la marche militaire, forme un tableau d’un effet irrésistible. Le trio entre Pierre le Grand, son favori Menzikof, qui sont à boire dans la tente, et la pauvre Catherine qui monte la garde au dehors, ce trio, — Joyeuse orgie, — est assez bien venu, mais il est effacé par l’effet que produisent les couplets des deux vivandières, — Sous les vieux remparts du Kremlin, — qui simulent un duel soldatesque, où l’on remarque tout l’esprit, tout l’art de M. Meyerbeer, sans en excepter ses défauts, qui sont de viser avant tout à la vérité matérielle. Il est grand cet effet, et le morceau que nous signalons est redemandé avec enthousiasme. Le quintette qui succède à cette curiosité, — Cessez ce badinage, — est selon nous d’un meilleur goût et d’un meilleur style, bien qu’il soit un peu trop long. Le finale de cet acte est un morceau compliqué. Pierre le Grand, qui n’est encore connu que sous le nom du capitaine Peters, apprend, après avoir secoué son ivresse, qu’une conspiration militaire menace ses jours et les frontières de son empire. Il se présente hardiment à ses soldats, leur reproche leur insubordination, et se livre à leurs coups en se nommant. Les soldats tombent à ses genoux ; l’armée alors entonne la marche sacrée, dont le thème est celui d’une vieille marche prussienne fort comme en Allemagne. Le chœur se tait, et l’on voit apparaître sur les hauteurs et au fond du théâtre deux régimens qui viennent au secours du tsar. Le régiment d’infanterie est précédé d’une petite musique composée d’un tambour, de quelques flûtes et de plusieurs clarinettes, qui exécutent une marche assez sauvage et d’un effet bizarre, tandis que le régiment de cavalerie est annoncé par une joyeuse fanfare d’instrumens de cuivre. Ces deux orchestres militaires, chacun dans un ton différent, se réunissent et se superposent à l’orchestre véritable, qui entame avec le chœur la marche sacrée, et produit une sensation multiple, où le bruit a le tort de trop dominer la pensée. L’effet de ce tour de force laisse à désirer, et accuse plus de feu que de lumière.

L’intérêt du troisième acte repose heureusement sur des effets moins éloignés du but de l’art. On y distingue d’abord la très jolie romance de basse que chante Pierre le Grand, — O jours heureux, ô jours de joie et de misère ! — qui est du meilleur style et d’une simplicité ravissante, Le trio bouffe entre