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Pierre le Grand, son favori Menzikof et le caporal Grilzenko est trop long et d’un comique un peu forcé. Ce qui est exquis, ce sont les couplets que chante Prascovia en racontant le long voyage qu’elle vient de faire de la Finlande à Saint-Pétersbourg, et dont la mélodie touchante est accompagnée avec une discrétion que nous ne saurions trop louer. Le duo entre les deux époux, — Fusillé, fusillé, — renferme sans doute de jolis détails d’imitation, mais toute l’attention se concentre, bientôt sur l’air avec les deux flûtes que chante Catherine, et qui termine l’ouvrage. Ce merveilleux gorgheggio, qui a été composé pour Mlle Lind dans le Camp de Silésie, est un peu long ; c’est de plus un hors-d’œuvre, une de ces concessions qu’est obligé de faire un compositeur à la bravoure des cantatrices.

L’exécution de l’Étoile du Nord est très soignée. Mlle Caroline Duprez, dans le rôle très difficile de Catherine, a montré une vive intelligence des situations dramatiques, un art consommé dans plusieurs des morceaux qui lui sont confiés, tels que la ronde bohémienne du premier acte, et l’air concertant entre les deux flûtes de la fin, où sont groupés les traits et les arabesques les plus compliqués de la vocalisation. M. Bataille s’applique et réussit parfois à donner une physionomie au triste personnage de Pierre le Grand, et il chante avec un goût parfait la belle romance du troisième acte. Il serait injuste d’oublier Mlle Lefebvre, qui est fort gracieuse sous le costume de Prascovia, et qui dit avec distinction les jolis couplets du troisième acte. Les chœurs, très compliqués, marchent comme un seul homme ; l’orchestre fait des prouesses sous la main habile qui le conduit, et la mise en scène est digne du reste.

On le voit par cette analyse, que nous n’avons pas craint de faire un peu minutieuse, l’Étoile du Nord renferme un assez grand nombre de choses intéressantes et curieuses pour justifier le succès incontestable qu’a obtenu le nouvel opéra de M. Meyerbeer : l’ouverture d’abord, qui est originale, mais qui n’a pas changé l’opinion où nous sommes toujours que l’auteur de Robert le Diable est moins un symphoniste pur qu’un compositeur dramatique à qui il faut une situation pour faire jaillir de son front une idée musicale ; — au premier acte, les couplets de Catherine, la ronde bohémienne et ces délicieux couplets de Prascovia, avec accompagnement du chœur des femmes, qui sont les morceaux les plus exquis de tout l’ouvrage ; — la scène militaire de l’introduction du second acte, où M. Meyerbeer a entassé tous les artifices de la mise en scène et les rhythmes les plus agaçans ; les couplets des deux vivandières, qui visent trop à l’effet et par les moyens les moins naïfs ; le grand finale, tableau laborieux et confus qui nous fait mieux apprécier celle belle pensée de saint Augustin, que « c’est l’unité qui constitue la forme essentielle de la beauté, » - omnis porro pulchritudinis imitas est ; — la romance de basse, au commencement du troisième acte, les jolis couplets de Prascovia et les vocalises de la fin. Telles sont les parties vives et saillantes de l’ouvrage de M. Meyerbeer, dont il importe maintenant d’apprécier le caractère général en cherchant à pressentir l’influence qu’il peut avoir sur les destinées de l’opéra-comique.

Lorsque le Français né malin créa le vaudeville, il ne se doutait guère du mauvais tour qu’allait bientôt lui jouer l’art musical, qui était alors à peu